Il est devenu en quelques années le médecin expert des nouvelles technologies en santé sur la Toile. L'ex premier vice-président et délégué général au numérique du Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom), le Dr Jacques Lucas, a mis un point final à sa carrière ordinale le 20 juin dernier. Ce spécialiste en médecine interne, cardiologie et néphrologie a volontairement quitté l'institution suite au renouvellement du bureau mais son analyse avertie des réseaux sociaux et du numérique a encore de beaux jours devant elle.
Une seconde carrière à l'Ordre
Ancien chef de clinique à la faculté de médecine de Nantes puis assistant au CHU, le Dr Lucas a exercé en libéral à Nantes jusqu'en 2014. En parallèle de son activité professionnelle, l'Ordre a occupé une place importante dans sa vie. Élu au conseil départemental de Loire-Atlantique en 1987, il en fut le secrétaire général pendant plusieurs années avant de rejoindre l'Ordre régional des Pays de la Loire. Le Dr Lucas a ensuite occupé des fonctions ordinales nationales, en tant que président de la section exercice professionnel puis de secrétaire général et enfin de premier vice-président. Il fut même à deux doigts de devenir président du Cnom en 2005 mais il ne fut pas élu face au Pr Jacques Roland au bénéfice de l'âge. « Dans ma vie professionnelle et dans la vie publique, j'ai toujours voulu faire bouger les lignes », confie celui qui fonda aussi la Fédération des cardiologues de l'Ouest et anima de nombreuses sessions de FMC rassemblant généralistes et cardiologues.
C'est sous le mandat du Dr Michel Legmann (2007-2013) que le cardiologue propose de se charger de la mission numérique. « Je lui ai dit que j'avais envie de m'occuper d'un sujet émergeant. À l’époque, il m'avait donné carte blanche. » Ses premiers travaux sous la casquette de "Monsieur numérique" à l'Ordre sont consacrés à la rédaction du livre blanc sur la déontologie médicale sur le web, paru en 2011. « Ça a un peu vieilli, certes, mais la réalité de ce que l'on trouve sur les réseaux en ce moment est encore d'actualité », plaisante le médecin de l'Ouest.
Un homme « de respect et de confiance » selon Patrick Bouet
Réélu en juin à la tête de l'Ordre des médecins, le généraliste Patrick Bouet, n'hésite pas à dire que le Dr Lucas a été « l’un des moteurs fondamentaux de la transformation de l'institution dans ces dix dernières années ». « C’est pour cela que le voir partir de l’Ordre est un déchirement pour beaucoup d’entre nous », ajoute son président. Un très fort lien d'amitié lie les deux confrères depuis 2003, date à laquelle le Dr Bouet rejoint le Dr Lucas, alors secrétaire général du Cnom, en tant qu'adjoint. « Ce qui était au départ un lien professionnel est devenu un lien amical, empreint d’un profond respect. S’il est un homme en qui j’ai confiance, c’est bien lui, et ces quinze années de travail n’ont fait que développer cette admiration, et en même temps cette volonté farouche de faire avancer notre institution », confie le Dr Bouet.
Un aiguillon dans le développement de la télémédecine
Parmi les actions accomplies, l'ex délégué ordinal au numérique est particulièrement fier de sa contribution au développement de la télémédecine. « Je suis content d'avoir fait bouger les lignes en matière de télémédecine, en contribuant à la loi de 2009 puis au décret de 2010. Le texte législatif a repris beaucoup de choses du livre blanc de l'Ordre », se félicite le Dr Lucas. Un regret toutefois, celui de ne pas être allé « assez loin » à l'époque. « Le décret de 2010 était beaucoup trop rigide. Si bien que dès sa parution, nous avons recommencé à militer pour le simplifier », rappelle ce perfectionniste.
Un autre enjeu du numérique en santé l'a animé ces derniers mois et continue de le passionner : « le monde des data, des algorithmes et de l'intelligence artificielle en santé ». « Je regrette de ne pas avoir 10 ans de moins pour le voir apparaître réellement et être plongé dans le sujet de l'IA en médecine », confie le Dr Lucas, persuadé que l'Intelligence artificielle aura « des bénéfices » pour les médecins. « Dans l'aide à la prise en charge d'une personne, dans l'aide au diagnostic, on pourra se faire assister par l'IA en laissant le médecin garder le libre arbitre et la décision. Ce sera bénéfique aussi en médecine générale, qui fait face à des difficultés quotidiennes très lourdes », assure-t-il.
« Je me sens un peu généraliste »
Les travaux du Dr Jacques Lucas au sein du Cnom et son engagement sur la question des nouvelles technologies en santé en ont fait un expert très souvent sollicité sur les réseaux sociaux et notamment Twitter, où il compte 12 000 abonnés. Face aux questions parfois vindicatives de ses interlocuteurs, le Dr Lucas tâche toujours de répondre avec calme et sagesse. « On peut dire ce qu'on pense sans pour autant le faire avec véhémence. Bref, on n'avale pas son chapeau mais on n’est pas obligé d'être vulgaire », prône le médecin, qui a fait de cette sérénité une marque de fabrique.
Le cardiologue a toujours été proche des médecins généralistes, en particulier lors des sessions de FMC qu'il organisait dans sa région. Il a également cultivé une certaine proximité avec cette spécialité sur Twitter. « La médecine interne à mon époque était quand même une discipline très proche de la médecine générale et je me sens un petit peu généraliste », explique-t-il.
Grâce à son implication sur le réseau, l'ancien conseiller ordinal a notamment fait des rencontres confraternelles marquantes avec des médecins de famille twittos devenus des amis. « J'ai rencontré par exemple la généraliste @Jaddo_fr (pseudo ndlr) "IRL" comme on dit ("in real life" NDLR), plaisante-t-il. Cette rencontre n'aurait pas pu avoir lieu sans Twitter » fait-il remarquer. Le Dr Jacques Lucas regrette toutefois les mauvais côtés du réseau social : « J'ai régulièrement la tentation de fermer mon compte car certaines discussions tournent à la foire d'empoigne. On se balance des trucs à la figure pour le plaisir d'un bon mot... ».
Et après ?
Pour l'instant, le Dr Lucas est encore l'un des médecins les plus actifs sur le réseau à l'oiseau bleu. Sans sa casquette ordinale, sa liberté d'expression est aujourd'hui totale. « J'étais tenu, en tant que vice-président de l'Ordre à un droit de réserve. Aujourd'hui je parle en mon nom propre uniquement. Mais j'assumerai ce qui a été réalisé par l'Ordre et resterai fidèle à mon ami Patrick Bouet » précise-t-il.
Un indice sur sa prochaine activité ? Le cardiologue compte tout d'abord se laisser un temps de réflexion et profiter de cet été dans sa maison face à l'Atlantique avant de se lancer un nouveau défi professionnel. Son expertise du numérique et des réseaux sociaux est encore très prisée lors de colloques ou de congrès. « J'ai bien l'intention de continuer à m'investir dans la vie publique, même sans mandat à l'Ordre, et d'être actif sur ces sujets-là. Peut-être sous l'angle de la réflexion philosophique et éthique sur les bénéfices de l'IA par exemple », envisage-t-il.
Jusqu’à quatre fois plus d’antibiotiques prescrits quand le patient est demandeur
Face au casse-tête des déplacements, les médecins franciliens s’adaptent
« Des endroits où on n’intervient plus » : l’alerte de SOS Médecins à la veille de la mobilisation contre les violences
Renoncement aux soins : une femme sur deux sacrifie son suivi gynécologique