L'Ordre fait le ménage

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Publié le 14/02/2020
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Deux mois après le sévère rapport de la Cour des comptes sur son fonctionnement, le Conseil national de l'Ordre des médecins a déposé plainte contre certains de ses élus, qui auraient indûment perçu plusieurs dizaines de milliers d'euros.
Siège du Cnom

Siège du Cnom
Crédit photo : GARO/PHANIE

« 2020 sera une année où l’Ordre agira », avait promis son président, le Dr Patrick Bouet, lors de ses vœux à la presse début janvier. Sans que l'on sache si cela fait écho à cette promesse, le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) a annoncé la semaine passée avoir porté plainte contre deux élus actuels et deux ex-conseillers. Les plaintes ont été déposées auprès des chambres disciplinaires de première instance de leurs CROM respectifs, pour des agissements révélés en décembre par le rapport assassin de la Cour des comptes (CDC) sur le fonctionnement de l'institution.

Une source a pu confirmer au Généraliste que les élus et anciens élus visés par ces plaintes sont le radiologue Michel Legmann, le cardiologue Jacques Lucas et les généralistes André Deseur et Jean-Michel Béral. Le premier était président de l’institution de 2007 à 2013 et a été réélu en juin 2019 conseiller national des Hauts-de-Seine. Le second et le troisième en étaient vice-présidents jusqu'en juin dernier. Le dernier a été réélu conseiller national de La Réunion-Mayotte cet été.

Un ex-président épinglé

Si le Cnom n’a pas directement communiqué sur les faits reprochés aux quatre conseillers, le rapport de la CDC permet d'en savoir plus. Il est ainsi reproché au Dr Legmann de s’être fait verser « irrégulièrement, avec l’accord du secrétaire général, des indemnités d’un montant supérieur de près de 9 000 euros au plafond annuel, en considérant abusivement que le calcul du plafond de la Sécurité sociale devait s’entendre net de cotisations CSG-CRDS ». La Cour estimait à « plusieurs dizaines de milliers d’euros » les sommes « indûment perçues et qui devraient donc être remboursées au Conseil national ». L’ancien patron de l’Ordre aurait en outre perçu, entre 2010 et 2012, en plus de ses indemnités supérieures au plafond, « des forfaits sans nuitée, assimilables à des indemnités, qui, sur ses trois dernières années de mandat, ont conduit à un dépassement annuel du plafond de la Sécurité sociale de plus de 78 000 euros », indiquait aussi le rapport des Sages de la rue Cambon.

Des nuitées indûment remboursées

Contacté par Le Généraliste, le Dr Legmann reconnaît une « erreur involontaire » et plaide la « bonne foi ». « C'est une affaire de cotisations sociales dont personne n'avait compris à l'Ordre la réalité. On me reproche de ne pas avoir tenu compte de certaines cotisations sociales (CSG-CRDS) sur les indemnités que j'ai perçues. Ces indemnités étaient au départ libres de toute ponction de cotisation et toute la chaîne décisionnelle de l'Ordre ignorait le changement de règles, argue le Dr Legmann. Tout le monde a entériné les comptes en l'état sans tenir compte de cette affaire de cotisations. » Le praticien s’estime donc « responsable mais pas coupable ».

Selon le rapport de la Cour des comptes, les Drs Lucas et Deseur auraient quant à eux bénéficié de « remboursements de frais abusifs ». Leur résidence principale étant déclarée à Paris auprès des services fiscaux, ceux-ci n'auraient pas dû bénéficier de la prise en charge de frais d’hébergement et de repas pour les réunions qui se tiennent au siège de l’Ordre, à Paris. Or, tous deux auraient, « par l’utilisation d’une autre adresse en province déclarée à l’Ordre comme leur résidence principale, perçu des remboursements de frais ».

Entre 2015 et 2017, l’un aurait perçu 46 651 euros, l’autre 54 785 euros. S’il s’avérait que leurs résidences principales étaient bien à Paris, les Drs Lucas et Deseur devraient alors rembourser l’Ordre, souligne la CDC. Contactés par Le Généraliste, les deux praticiens ont préféré ne pas s’exprimer sur les plaintes déposées.

Il est enfin reproché au Dr Jean-Michel Béral de s’être fait rembourser par l’Ordre des nuitées à Paris alors qu’il séjournait dans l’appartement parisien où résidait l’un de ses enfants. Selon le rapport de la Cour des comptes, le médecin présentait « des factures de 200 euros par nuitée, établies par une SCI dont il est propriétaire ».

Après une fin d'année tumultueuse, l'Ordre, dont l'image est profondément ternie, tente donc de montrer patte blanche en s'en prenant à des praticiens responsables d'abus personnels. Mais cela sera probablement insuffisant pour redorer son blason car de nombreuses dérives pointées par la Cour des comptes remettent en cause l'institution dans son ensemble.

Le mot de Marianne Cinot, rédactrice en chef exceptionnelle :

« Nous ne nous sommes pas prononcés après la parution du rapport car ce n’est pas notre rôle. Par ailleurs, comme nous l’avons déjà dit, il faudrait que l’Ordre soit présent plus tôt, dès la formation, car c’est un acteur important de notre profession. Il faut vraiment impliquer les jeunes, comme avec la commission Jeunes médecins, à laquelle nous participons. »


Source : lequotidiendumedecin.fr