Comment se traduit la confraternité chez les médecins ?
Caroline De Pauw : Dans les travaux de terrain que j’ai pu réaliser sur la prise en charge des personnes précaires par les généralistes, nous avons observé, par exemple, que certains médecins pouvaient avoir connaissance de confrères qui n’accueillaient pas forcément de manière très favorable toute la patientèle. Nous les avons questionnés pour savoir s’ils prévenaient l’Ordre ou pas et, unanimement, la réponse a été non. Ils ne faisaient pas comme si rien n’existait mais ils ne leur adressaient plus leurs patients. Il y avait donc un sentiment de confraternité assez fort entre eux pour se préserver, qui s’appuie sur le principe de donner du crédit au confrère : on ne connaît pas la situation, il peut s’agir d’un cas individuel, etc. Il faut que les situations soient très importantes et vraiment délétères pour déclencher un signalement. L’aspect positif, c’est qu’il y a une solidarité qui est là et qu’on peut se sentir soutenu dans l’adversité. Mais si vous êtes le lanceur d’alerte, il faut pouvoir supporter d’être celui qui est en train de détruire le contrat tacite qui vous lie avec vos collègues via la confraternité. Il faut être sûr de soi pour prendre ce risque-là et être potentiellement mis au ban de ses collègues.
La confraternité dans une profession sous-entend qu’il y a un commun qui soude ses membres ?
C. de P. : D’un point de vue sociologique, on dit que ce sont des professions avec un grand P. Pour les médecins, il y a un parcours de formation très long, plus de dix ans d’études, durant lequel ils sont formés les uns avec les autres. Forcément, cela développe une culture et des expériences communes. C’est également une profession qui est régulée par les pairs, ce qui contribue à un sentiment de confraternité important. La profession de médecin est aussi dirigée vers l’intérêt général et l’altruisme. Cela leur donne donc normalement un socle de valeurs communes qui balaie plus large que l’aspect strictement professionnel. C’est l’ensemble de ces dimensions-là qui vont développer et créer ce sentiment de confraternité.
Ce socle commun et ce sentiment de confraternité est-il toujours aussi présent aujourd’hui ?
C. de P. : C’est toujours une réalité car les médecins sont formés dans les mêmes conditions. Cette période de socialisation commune par la formation reste. Et même si les conditions sont plus difficiles, ils les vivent tous plus difficilement donc cela renforce leur sentiment de confraternité. En revanche, ce qui change de manière importante, et nous n’en sommes qu’au début, c’est l’apparition d’exercices coordonnés formalisés. Dans ce cadre s’installent des relations entre professionnels de santé pour lesquels il n’y a pas forcément le socle de la confraternité de départ. Des jeux d’acteurs peuvent se mettre en place. S’il y a des tensions, vais-je systématiquement défendre ma corporation ou d’autres professionnels de santé avec lesquels j’ai aussi noué des liens de confiance et qui sont différents ? Cela rebat un peu les cartes. La confraternité n’est pas transmissible dans une CPTS, par exemple.
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