Dr Patrick Bouet, président de l’Ordre

« Si on ne fait rien, la catastrophe est annoncée »

Par
Publié le 18/05/2018
Article réservé aux abonnés
Dans un livre intitulé « Santé : explosion programmée »*, le Dr Patrick Bouet, président de l’Ordre, somme le gouvernement d’engager une « réforme globale » d’un système de santé « à bout de souffle ». Contre la désertification, le généraliste mise sur la mobilité des médecins.
Dr Patrick Bouet

Dr Patrick Bouet
Crédit photo : GARO/PHANIE

Le Généraliste Pourquoi sortez-vous de votre réserve en publiant ce livre réquisitoire ?

Dr Patrick Bouet : Je viens d’atteindre 35 ans d’activité de médecin généraliste et je préside depuis cinq ans le Conseil national de l’Ordre, dont un an depuis le changement de gouvernement. Au bout de tout ce temps, il m’a semblé naturel de partager la colère et l’exaspération actuelle de tous les professionnels de santé et de dire : attention, si on ne fait rien aujourd’hui, la catastrophe est annoncée.

La première année d’Agnès Buzyn ne vous a pas convaincu ?

Dr P. B. : Il y a un paradoxe. Mme Buzyn a renoué le dialogue avec l’ensemble des professionnels et c’est un point très positif. Mais dans le même temps, on a le sentiment de nous perdre dans les feuilles de route, les plans annoncés, les comités de pilotage, etc. Tout ceci retarde les annonces importantes. Cela ne peut pas continuer ainsi. Ce livre est aussi une façon de dire au gouvernement : il faut agir !  

Dans votre ouvrage, vous regrettez que les maisons de santé soient considérées comme « l’alpha et l’oméga de la lutte contre des déserts ». Que leur reprochez-vous ?

Dr P. B. : L’Ordre n’est pas contre les maisons de santé pluridisciplinaires. Nous ne voulons simplement pas qu’elles soient un modèle unique d’organisation territoriale. Ces structures deviennent des établissements avec des contraintes hyper-administratives. Notre système de santé doit garder de la souplesse et permettre à ces structures de se créer, de vivre, sans courir après les financements. Bien d’autres formes d’exercice existent aujourd’hui pour développer des projets de santé territoriaux. 

Vous prônez la mobilité des médecins pour améliorer l’offre de soins sur le territoire. Que répondez-vous à ceux d’après qui l’Ordre s’oppose à l’exercice multisites ?

Dr P. B. : Il faut mettre fin à ce fantasme ! Nous autorisons au contraire massivement les demandes de mobilité. Seulement 3,4 % d’entre elles sont refusées par l’Ordre. Lorsqu’il y a des refus et qu’ils passent en appel national, deux tiers sont finalement validées. Qui conteste ces autorisations aujourd’hui ? Ce sont bien souvent les directeurs d’hôpitaux car ils considèrent qu’elles viennent en concurrence avec leurs activités. L’Ordre doit aussi assumer sa part de responsabilité. Nous allons faire évoluer un certain nombre de dispositions réglementaires pour combattre la désertification médicale. Les contrats de collaborateurs n’ont pas connu le développement que nous attendions. Nous devons aussi favoriser le décloisonnement entre la ville et l’hôpital. Mais si nous ne connaissons pas de réforme structurante du système de santé, nous n’aurons que des petites mesures.

MORCEAUX CHOISIS

Téléconsultation
« Voilà donc qui résoudrait le problème de la pénurie de médecins. Autant l’affirmer tout de suite, nous sommes là dans l’utopie technologique. Celle-là même qui vous prédit qu’un jour vous n’aurez qu’à vous allonger sur une banquette pendant qu’une machine tournera autour de vous (...) pour éditer un diagnostic précis de votre état sur une petite fiche. Un scénario digne de Star Trek... »

Prévention « Le débat autour de la prévention manque aujourd’hui de lisibilité. (...) On s’enflamme sur des objectifs. Tabac, alcool, diabète... sans agir sur les causes en amont. Or, une véritable politique de prévention ne devrait pas se résumer à quelques mesures de-ci, de-là. Elle devrait être bâtie comme un tout. Être structurée, cohérente. Ambitieuse. »

Déserts « Les élus locaux vont devoir (...) admettre qu’ils se sont trompés quand ils ont promis à leurs administrés de faire revenir l’offre de soins au village « comme avant ». (...) à dire vrai, nous nous sommes tous trompés. À commencer par nous, Ordre des médecins ! Car il aurait été tout à fait impensable qu’un président plaide pour la mobilité des médecins il y a dix ans ! »

Maisons de santé « À l’Ordre des médecins, cela fait de longs mois que nous tirons la sonnette d’alarme. Les maisons de santé ne sont pas la martingale, la baguette magique qu’il suffirait d’agiter un peu partout afin de faire revenir les médecins dans nos campagnes ou dans certaines zones urbaines désertées par nos confrères. »

*Éditions de l’Observatoire, 163 pages, 17 euros

Propos recueillis par Camille Roux

Source : lequotidiendumedecin.fr