LE QUOTIDIEN : Comment jugez-vous, d’une manière générale, les programmes électoraux des syndicats de médecins libéraux dans ce scrutin 2021 ?
Dr YANN BOURGUEIL : Il y a très peu de créativité ! Les syndicats sont relativement fidèles aux positions qu’ils ont toujours défendues dans le passé. Je note même une certaine convergence dans les propositions pour préserver les fondements de la médecine libérale comme le paiement à l’acte et la liberté d’installation mais aussi le refus du développement des forfaits et la volonté d’un espace de liberté tarifaire.
Des lignes de fracture syndicale existent toutefois sur l’organisation des soins ou le positionnement par rapport aux autres professions. Avenir Spé-Le BLOC et le SML, par exemple, sont opposés au transfert de tâches, alors que les autres restent moins précis. Il y a aussi beaucoup de revendications politiques d’ordre assez général. Par ailleurs, on ne voit pas de propositions organisationnelles où les médecins libéraux prendraient toute leur part dans le système de santé. Enfin, il n’y a rien ou presque sur l’enjeu régional. C’est navrant.
Les programmes sont-ils en phase avec les attentes des jeunes médecins (appétence pour le salariat, l’exercice mixte, le regroupement) ?
Il y a quelques revendications sur l’exercice mixte et le soutien à l’exercice regroupé, notamment via le forfait structure. Mais globalement, hormis le projet de cabinet 2030 de la CSMF, je ne perçois pas une réelle volonté de se projeter vers l’avenir pour transformer de façon durable l’exercice médical. Au contraire, ces programmes donnent un sentiment de repli sur les revendications traditionnelles, catégorielles, purement électoralistes. L’incertitude liée à la crise sanitaire, les signaux pas toujours clairs du gouvernement pour la médecine libérale sont autant d’éléments pour expliquer ce retour en arrière.
On voit des revendications sur la consultation à 30, 40 ou même 50 euros. Comment analysez-vous cette forme de surenchère ?
Dans le contexte électoral, cela traduit la rivalité syndicale. L’enjeu est d’obtenir une reconnaissance financière, équivalente à ce que l’hôpital public a eu à la suite du Ségur de la santé. La revendication d’aligner la valeur de l’acte sur les standards européens peut se comprendre afin de permettre aux médecins d’investir pour moderniser leur cabinet, recruter du personnel et améliorer leurs conditions de travail. Mais je trouve que cela manque un peu de profondeur. Quand on revendique plus de ressources, il faut expliquer pourquoi ! Quelle place les médecins libéraux veulent-ils occuper dans le système de santé, et pour quels services ?
Diriez-vous qu’il y a dans la profession une poussée du populisme ?
C’est l’impression que cela donne. Ceux qui portent un discours très radical sont en décalage avec les enjeux d’aujourd’hui que représente la recherche d’efficience et d’une meilleure organisation pour préserver notre système de santé. Ils sont loin de ces principes de réalité, sauf à penser qu’on va vers l’abandon de la solidarité, l’ouverture vers les complémentaires santé ou la liberté tarifaire. La poussée du populisme pourrait s’expliquer par la peur du changement, le sentiment de ne pas être partie prenante des décisions les concernant. Je pense aussi que la gouvernance hypercentralisée de la santé a pu provoquer certaines positions de repli et de refus.
Quel est le meilleur positionnement pour convaincre la profession aujourd’hui : syndicat monocatégoriel ou centrales polycatégorielles ?
L’un des enjeux est de savoir comment travailler ensemble – généraliste et spécialiste. Il faut donc réfléchir sur les coopérations, les articulations pour mieux définir la place de chacun. Pour cela, c’est peut-être plus facile d’être dans une centrale polycatégorielle. J’ai, en tout cas, des doutes sur le regroupement de tous les spécialistes car ils ont des intérêts très différents, ne serait-ce qu’entre les cliniciens et les non-cliniciens.
L’enjeu régional est très rarement abordé. N’est-ce pas un échec pour les URPS et la territorialisation des politiques de santé ?
Oui et c’est un échec de mon point de vue. On n’a jamais été au bout de la territorialisation des politiques de santé. Les URPS sont soumises à des changements politiques et peinent à construire des projets dans la durée. Elles se professionnalisent tant bien que mal alors qu’elles pourraient jouer un rôle important. C’est dommage car les ARS ont besoin de partenaires forts au niveau territorial.
« Quand on revendique plus de ressources, il faut expliquer pourquoi ! »
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