Par Michèle Thibaudin
C’est un matin où un pâle soleil joue de ses rayons sur les grands murs sombres du couvent. Du fond du couloir, je la repère en tête de file. Même regard sombre, visage fermé. Elle se tient près de Sœur Léa mais ne s’accroche plus à sa main. La religieuse me dit d’un ton enjoué que les enfants montrent un intérêt croissant pour les ateliers de dessin et d’écriture.
Elle se tourne vers Hora qui, à regret, pose sur ma table un dessin : un jardin minutieusement construit, un jardin lumineux où les herbes folles se mêlent harmonieusement à des fleurs de toutes les couleurs, subtilement choisies. Au milieu du jardin, du linge blanc accroché à un fil semble bercé par une brise légère. Magnifique dessin où chaque trait est étudié, un dessin maîtrisé. Ému, je ne peux que lui sourire en murmurant « Merci ». Une douceur fugitive a-t-elle envahi son regard ou ne l’ai-je que rêvée ?
Pour briser le silence, je questionne Sœur Léa. Hora ne parle toujours pas, pourtant sa langue maternelle est assurément le français. Elle participe à la vie de l’orphelinat et fait preuve d’une grande maturité. Elle semble avoir moins peur des adultes mais tient encore les autres enfants à distance, à l’exception de Zora. Elles fréquentent toutes deux assidûment les ateliers d’expression et sont inséparables. Je souris : choisissant Zora, Hora choisit la vie.
Zora ! C’était une soirée neigeuse et glaciale, j’étais arrivé la veille au couvent. Sœur Lise est entrée dans la salle de soins où je travaillais avec un jeune confrère. Elle soutenait une adolescente épuisée, qui dans ses bras serrait un petit garçon blessé : vilaine plaie à la jambe droite, état général inquiétant Nous craignions une septicémie. La jeune fille ne présentait aucune blessure, mais une fatigue extrême, qui s’aggrava les jours suivants par son refus de s’alimenter. Si nous n’avions sauvé son frère, elle se serait laissé mourir, mais par chance, nous n’étions pas en début de conflit et un réseau pour le passage des médicaments s’était mis en place et fonctionnait bien. Je n’oublierai pas le sourire de Zora quand je lui ai annoncé que son frère vivrait, je n’oublierai pas son retour à la vie les jours qui ont suivi.
Zora se reconstruit et entraîne avec elle son petit frère. Ilan, adorable bambin de six ans, pétillant de malice. Il oublie les images de l’horreur dans les bras de Zora. Sa sœur, devenue mère protectrice, lui montre le chemin. « Le passé est mort, dit Zora, notre vie recommence ici. »
Une seule fois, par écrit, elle évoquera le passé : ses parents, résistants au régime, égorgés par les soldats, la blessure d’Ilan, un coup de couteau de l’homme qui a assassiné leur mère. Puis une longue errance sur les routes pour trouver le couvent, lieu de refuge dont leur avaient parlé leurs parents.
Sœur Léa évoque à nouveau l’atelier d’écriture qui lui tient tellement à cœur. Hora le fréquente très assidûment avec Zora mais ne montre pas ce qu’elle écrit. En revanche, Zora aime lire à la religieuse ses écrits. Sœur Léa ajoute que Zora a du talent et adore les mots. Hora l’écoute attentivement, l’ombre d’un sourire effleure ses lèvres un court instant.
Puisse Zora emporter dans son élan de vie, la fillette au regard noir !
Je regarde à nouveau le dessin d’Hora. Il ne ressemble pas à ceux des autres enfants. Dans le sien, aucune empreinte de violence, son jardin reflète la paix et la beauté de la vie.
Prochain épisode… l’année prochaine !
Avec la collaboration de
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