HISTOIRES COURTES - À vif

Quand l’espoir disparaît (4/6)

Publié le 10/11/2016
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Aujourd’hui, je me souviens encore précisément de la fin du protocole de ma deuxième IAC, comme si c’était hier. Je le revis encore : le jour J, j'ai beau renouveler l'expérience faite lors de la première insémination, je la trouve toujours aussi surréaliste : il est onze heures du matin, et les mains crispées sur le volant, je roule un brin nerveuse vers la clinique. Après tout, rien que de très banal. Sauf que je viens de quitter le laboratoire munie du précieux sésame, déposé trois heures plus tôt par mon mari, dans une petite fiole actuellement coincée dans l'armature de mon soutien-gorge…

— C'est là qu'il sera le plus proche de la température du corps, m'a murmuré discrètement la laborantine…

Cerise sur le gâteau, le temps imparti avant que le liquide sacré ne soit plus viable est d'environ une heure, laps de temps pendant lequel je dois jongler avec les embouteillages et les motards zélés qui semblent avoir été greffés à même le bitume. J'aperçois d'ailleurs la tenue bleu outremer d'un spécimen costaud de la police nationale, les bras croisés sur un torse bombé, prêt à passer à l'action. Je prie pour que le dieu hasard m'épargne un contrôle inopiné qui me retarderait et ruinerait d'un coup d'un seul tous mes efforts. D'autant que je m'imagine mal expliquer la situation…

L'estomac noué, j'ai beau repenser à la forêt de palétuviers et au sommet du Kilimandjaro, je rumine une colère que je ne comprends pas vraiment. La colère sourde du coureur de fond qui se sent vaincu, mais veut encore y croire et jette ses dernières forces dans la bataille. Je sais que j'y arriverai et un jour béni viendra où je raconterai toute cette aventure à notre enfant, personne ne m'enlèvera cette certitude. Personne.

— Je vous apporte le Saint Graal, docteur…

Tellement soulagée d'être enfin arrivée à bon port, je remarque à peine son regard étonné puis le léger sourire qu'il esquisse, comme un petit rictus au coin des lèvres… Ce n'est que quelques minutes plus tard, lorsqu'il s'applique, avec une précision d'horloger, à pratiquer l'insémination, qu'il dévoile finalement un humour pince-sans-rire qui me laisse sans voix :

— Désolé de ce silence, la prochaine fois, je mettrai du Wagner… pour l'ambiance…

C'est peut-être un grand comique, au fond…

Après l’échec de la deuxième IAC, il me propose de tenter une fécondation in vitro. Parmi les erreurs que je ne suis sans doute pas la seule à avoir commises, il y a celle qui consiste à vouloir se rassurer ou simplement s'informer en allant surfer sur Internet. Les forums dédiés à la procréation médicale assistée et à ses difficultés y sont pléthores, mais je découvre vite que je suis incapable de lire les informations fournies autrement qu'à travers le filtre de mon mal-être et de ma peur de l'échec. Résultat : parmi les messages plein d'optimisme de femmes qui font partager, au jour le jour, en direct live, à des milliers d'internautes, le déroulement du protocole qu'elles sont en train d'expérimenter, je ne vois que des championnes de l'ovulation qui produisent toutes une quinzaine d'ovocytes à chaque traitement et paraissent motivées à mort.

Retour dépité à la FIV qui me tourmente : au bout du compte, sur les cinq ovocytes qui me sont prélevés, deux s'avèrent viables, et un seul sera fécondé et réimplanté.

Je ne sais pas pourquoi, j'ai beau me raisonner, je sens bien qu'il va y avoir une prochaine fois…

Et quand, quelques mois plus tard, l'hémorragie marque l'échec de cette première FIV, le constat est sans appel : le Livret A va encore faire la gueule, mais tant pis. Direction la Russie.

Prochain épisode dans notre édition du 17 novembre

Avec la collaboration de   logo-fond-gris-2000_1.png

Par Céline Santran

Source : Le Quotidien du médecin: 9533