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Dossier

SARS-CoV-2 et virus saisonniers : une cohabitation à risque ?

Par Irène Lacamp - Publié le 16/10/2020
SARS-CoV-2 et virus saisonniers : une cohabitation à risque ?


Terovesalainen /stock.adobe.com

Alors que le lancement de la campagne de vaccination antigrippale a remis sur le devant de la scène les infections virales hivernales, de nombreuses questions se posent quant aux risques induits par la circulation concomitante de ces virus saisonniers et du SARS-CoV-2. Même si la probabilité de co-infection reste discutée, la vigilance est de mise.

Avec plusieurs milliers de nouveaux cas diagnostiqués chaque jour depuis septembre, le Covid-19 continue de progresser en France. En parallèle, l’approche de l’hiver annonce le retour des épidémies saisonnières de bronchiolite, de gastro-entérite et surtout de grippe. D’où une potentielle co-circulation des virus hivernaux et du SARS-CoV-2, qui inquiète à plus d’un titre. Engorgement du système de santé, difficultés diagnostiques, émergence de formes graves… depuis la rentrée, plusieurs acteurs du monde de la santé ont alerté sur les risques potentiels. Mais qu’en est-il vraiment ?

Des épidémies saisonnières moins marquées cette année ?

Alors que la grippe saisonnière est responsable chaque année de plusieurs milliers d’hospitalisations et que la gastro-entérite conduit tous les ans à l’hôpital près de 14 000 enfants de moins de cinq ans, la crainte est de voir le système de soins – déjà sous tension avec le Covid-19 – s’engorger avec un nouvel afflux de malades. Mais pour le moment, difficile de savoir exactement quelle sera l’amplitude des épidémies saisonnières.
Si le Dr Amélie Ryckewaert, pédiatre au CHU de Rennes, indique avoir observé en septembre un retour important et précoce des infections ORL hautes, telles que les rhinopharyngites, le réseau Sentinelles rapporte pour sa part un début plutôt timide de la gastro-entérite, avec pour la deuxième semaine d’octobre 2020 une incidence des diarrhées aiguës deux fois moindre qu’en 2019 à la même période. « En fait, dans la mesure où les virus hivernaux ne sont de retour que depuis un mois, il semble pour le moment difficile de déterminer si oui ou non il y aura moins de cas d’infections saisonnières cette année », juge le Dr Jean du Breuillac, médecin généraliste dans les Deux-Sèvres et membre de la commission technique des vaccinations.

Cette année, face à la pandémie de Covid-19, les malades semblent en tout cas particulièrement attentifs à ne pas contaminer leur entourage, constate-t-il. Cette vigilance ainsi que l’application des mesures barrières pourraient contribuer à la limitation de la circulation des pathogènes respiratoires. En pédiatrie, « c’est ce qui s’était passé pendant la pandémie de grippe H1N1, au cours de laquelle il n’y avait eu que peu de cas de bronchiolites », rappelle le Dr Ryckewaert. C’est également ce qui semble avoir été observé dans l’hémisphère Sud cet été, pendant l’hiver austral. « La circulation des virus grippaux est actuellement faible dans l’hémisphère Sud, ce qui pourrait être lié à l’application des mesures barrières », indiquait en effet l’OMS fin mai.

« Je crains cependant qu’on doive faire face à plus de consultations pour des symptômes minimes cet hiver », s’inquiète Jean du Breuillac, en particulier à cause d’écoles qui, « même devant des symptômes respiratoires assez banals, orientent systématiquement les parents vers les médecins ».

Des co-infections peu fréquentes mais plus graves ?

Au-delà de la charge que la co-circulation des virus pourrait faire peser sur les professionnels de santé et plus généralement sur le système de soin, la question des co-infections SARS-CoV-2-virus hivernal constitue une autre source d’inquiétude. « Des médecins de plusieurs pays ont signalé des patients testés positifs à la fois pour le Covid-19 et la grippe saisonnière », indique le JAMA. Une revue de la littérature a par ailleurs rappelé que le VRS, les rhino ou entérovirus ainsi que les coronavirus saisonniers peuvent également être des co-pathogènes du SARS-CoV-2.

Reste cependant à savoir quelle pourrait être la fréquence réelle de ces co-infections. Si certains chercheurs évoquent un phénomène rare, des médecins chinois cités par le JAMA affirment que les co-infections par des virus grippaux concernaient, en mars, plus de 10 % de leurs patients hospitalisés pour des formes graves de Covid-19. Des épidémiologistes de l’institut Max-Planck et de l’institut Pasteur ont suggéré, en conclusion d’un travail de modélisation réalisé à partir de données européennes recueillies au printemps, que l’infection par un virus grippal pourrait multiplier par deux le risque d’attraper le SARS-CoV-2. « Du fait de la fréquence des surinfections de la grippe, ces résultats de modélisation n’ont rien de surprenant », commente le Dr du Breuillac. Un mécanisme cellulaire aurait d’ailleurs été proposé pour expliquer le phénomène : « le virus de la grippe pourrait avoir sur l’épithélium bronchique un effet inflammatoire qui mènerait à une expression accrue du récepteur du coronavirus, l’ACE2 », résume Jean du Breuillac.

D’autres spécialistes croient plutôt en une compétition entre les virus. « Par exemple, on sait que lors de l’infection par un virus respiratoire, une réponse immunitaire innée est déclenchée et empêche, pendant un temps certes court, une infection par d’autres virus respiratoires », explique François Trottein, responsable de l’unité de recherche Grippe, immunité et métabolisme de l’institut Pasteur de Lille. La question de la fréquence de ces co-infections ne semble donc pas tranchée.

Autre interrogation en suspens : la gravité potentielle de ces co-infections. Alors qu’il existe encore peu de données à ce sujet, une étude anglaise relayée par le BMJ suggère que le risque de décès serait plus que doublé en cas de co-infection par la grippe du fait d’un « effet synergique possible [entre les deux virus] chez les individus co-infectés ».

Un résultat qui ne surprend pas le Dr Trottein. « On sait bien que les co-infections, ou en tous cas les sur-infections, sont une cause importante de décès par grippe mais également par Covid-19 », rappelle en effet l’immunologue.

Des symptômes superposables

À côté de l’impact d’éventuelles co-infections sur la morbi-mortalité des patients, le risque de confusion entre Covid-19 et viroses hivernales est aussi pointé du doigt. « La plupart des signes cliniques pouvant faire évoquer le diagnostic de Covid-19 ont une faible spécificité et une sensibilité limitée », rappelait récemment le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) dans un avis relatif à la préparation des épidémies de virus hivernaux en période de circulation du SARS-CoV-2. Et, « s’il existe des signes cliniques hautement évocateurs du Covid-19, aucun n’est toutefois pathognomonique de cette infection ». Ainsi, « des travaux récents comparant la fréquence de l’anosmie en cas de coronavirus et en cas d’autres viroses respiratoires suggèrent que l’anosmie ne serait un signe ni très spécifique, ni très sensible de Covid-19 », rapporte le Dr du Breuillac. A contrario, même si les tableaux habituellement liés aux bronchiolites ou aux diarrhées à rotavirus semblent typiques, ils peuvent parfois être pris en défaut. D’après le HCSP, deux cas de bronchiolite sévère non liés au VRS mais au SARS-CoV-2 auraient par exemple été rapportés. « En fait, il n’y a rien qui ressemble plus à une autre virose que le Covid-19 », conclut Amélie Ryckewaert.

Alors qu’en médecine de ville, face à un tableau de virose, « on ne dispose pas des moyens nécessaires pour s’assurer immédiatement du diagnostic », ce flou risque-t-il d’être préjudiciable au patient ? Pas nécessairement, répond le Dr du Breuillac, pour qui « la prise en charge des patients n’est pas forcément modifiée » par l’absence de certitude diagnostique, cette situation étant finalement assez courante en médecine générale. Dans la mesure où on ne dispose pas de traitement symptomatique ni pour le Covid-19 ni pour la majorité des infections virales hivernales, l’enjeu est surtout de proposer une prise en charge symptomatique adaptée à chaque patient.

Et finalement, hormis pour les cas graves, la confirmation du diagnostic par PCR impacte davantage les mesures d’isolement et le contact tracing que les prises en charge.

Pas d’indication à démultiplier les tests de grippe selon le HCSP

Si les tests de détection du SARS-CoV-2 sont prescrits largement, qu’en est-il des tests centrés sur les autres infections hivernales telles que la grippe ? Devant l’arrivée des virus saisonniers, le HCSP a récemment émis un avis qui précise ce point. Conclusion : chez l’adulte, si les tests de RT-PCR doivent être utilisés en population générale devant toute suspicion d’infection au SARS-CoV-2, le recours aux tests moléculaires diagnostiques de grippe n’est justifié que dans des collectivités à risque ou face à des signes d’infections respiratoires graves. La recherche simultanée de virus grippal et de SARS-CoV-2 doit, elle, viser prioritairement les personnes à risque, « en période de circulation grippale ».

À noter que chez l’enfant de moins de 6 ans, la réalisation d’un test de détection du SARS-CoV-2 n’est pas indiquée en 1re intention devant un tableau typique de bronchiolite ou de gastro-entérite peu sévère et typique, ni devant une fièvre bien supportée de moins de 4 jours en l’absence de contage avéré et de facteur de risque de Covid-19 grave personnel ou familial. La HAS devrait prochainement compléter ces recommandations par un avis centré plus spécifiquement sur le recours aux tests multiplexes.

Dossier réalisé par Irène Lacamp