LE QUOTIDIEN : Les décès et les cas de pneumopathies sévères liés au vapotage ont été fortement médiatisés, de même que les mesures d'interdiction de la e-cigarette qui ont suivi aux États-Unis et en Inde. Cela a-t-il eu un impact sur les patients que vous suivez ?
PR IVAN BERLIN : Non, je vois une dizaine de patients par semaine dans le cadre de l’étude ECSMOKE, une étude randomisée visant à comparer les efficacités relatives de la cigarette électronique (avec et sans nicotine) avec la varénicline dans le sevrage tabagique. Je ne peux pas dire qu’il y a une inquiétude importante, pour l’instant. Les jeunes sont informés de la situation américaine mais ne s’alarment pas car il n’y a pas eu de cas en France. Les patients plus vieux, eux, ne sont pas tellement au courant.
Dans la majorité des cas, les patients américains utilisaient leur cigarette électronique pour faire du « dabbing », c’est-à-dire consommer des stupéfiants via des liquides trafiqués. Faut-il renforcer les mises en garde contre ce genre de pratique ?
Les situations françaises et américaines sont très différentes. La cigarette électronique n'est pas utilisée de la même manière dans les deux pays. Dans les États des États Unis où c'est autorisé, le « vaping » est 'un moyen légal de consommer du cannabis. Le vapotage en France concerne essentiellement voire exclusivement les fumeurs. Certains liquides de « vaping » aux États Unis contiennent même des dérivés de cannabis dont la toxicité est inconnue. Cela fait d'ailleurs 2 ans que mes collègues américains alertent la Food and Drug administration pour qu'elle agisse contre les cigarettes électroniques de type JUUL délivrant des doses très élevées de nicotine et qui sont utilisées essentiellement pour des raisons récréationnelles et pas pour le sevrage tabagique et contre le détournement d'usage – utilisation des substances addictives, légales ou illégales. Le laxisme de cette dernière a provoqué un grand tollé.
En France, les produits, les liquides pour cigarettes électroniques sont bien plus contrôlés. Ils doivent correspondre à la norme AFNOR et les fabricants sont tenus de fournir des informations sur la composition, les émissions et les données toxicologiques à l'ANSES [en application de la directive européenne 2014/40/UE sur les produits du tabac et la loi de santé de 2016 correspondante NDLR]. Dans son dernier rapport, l'Agence a dénombré environ 20 000 dossiers déposés.
Lors d'une réunion au ministère des Solidarités et de la Santé, organisée à la suite des signalements des cas américains, nous avons insisté sur 3 points. En premier lieu, nous estimons que la cigarette électronique doit être considérée comme un outil de sevrage tabagique et pas autrement. Ensuite, il faut absolument que les autorités communiquent pour éviter le détournement de l'usage. Enfin, qu'elle soit nicotinée ou non, la cigarette électronique ne doit être utilisée ni par les non-fumeurs jeunes ou adultes.
Pensez-vous qu’il faille communiquer auprès des patients sur les risques d’apparition des symptômes caractéristiques des pneumopathies sévères ?
Le directeur général de la santé a diffusé un courrier d'alerte afin que les médecins puissent déclarer les cas. Je ne sais pas si cela peut détourner les patients d'un moyen de substitution possible, mais il faut communiquer les faits et rappeler aux patients qu'il n'existe pas d'intervention sans risque. La cigarette électronique n'est pas un médicament. Son niveau de risque est donc très mal connu, au contraire de la varénicline pour laquelle on dispose de 12 ans de recul ou les substituts nicotiniques avec un recul de presque 30 ans. Il n'en demeure pas moins que sa toxicité est très probablement moins importante que celle du tabac à fumer.
Les nouvelles données américaines risquent-elles d’avoir un impact sur le déroulement de l’étude ECSMOKE ?
Le recrutement de notre étude fonctionne toujours très bien. Nous n'avons pas observé de diminution dans le nombre de candidatures. Nous en sommes à 297 fumeurs déjà randomisés, et l'on vise plus de 650 patients consommant au moins 10 cigarettes par jour. À Paris, ou dans les autres villes de France on peut encore recevoir des fumeurs souhaitant arrêter de fumer en participant à cette étude nationale.
Article précédent
Vigilance en Italie
Comment repérer les cas ?
Vigilance en Italie
« La cigarette électronique doit servir à l’arrêt du tabac, et à rien d’autre »
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024