«Dans cette unité, je ne me sens pas stigmatisée par la maladie ». « Eleana », pins jonquille accroché à son bonnet et grandes lunettes, se joue malicieusement des codes de l’interview. Depuis qu’elle est passée dans un reportage pour une chaîne télévisée nationale, elle a écrit « TV star » sur la porte de sa chambre. « Je me sens bien ici, mes copines, mon copain, peuvent venir me voir », reprend-elle plus sérieusement. Sa mère passe une tête discrète dans la salle où, avec trois de ses amies et l’animatrice Sandra Quié, elle prépare des crêpes. « J’aurais dû être partie il y a une heure déjà ! », sursaute l’une des jeunes filles. D’une question sur Parcoursup ou d’une blague sur les grumeaux réfractaires, Sandra sait chasser les ombres qui passent sur les visages.
« Mon rôle est de rendre les journées plus douces, résume Sandra Quié, en proposant des activités (salle de jeux, cuisine…) ou en faisant venir des associations qui leur offrent d’autres manières de s’exprimer (magie, arts plastiques, musique…). Avec toujours le souci de s’adapter à leur personnalité et aux traitements. » L’animatrice est, pour les jeunes hospitalisés dans l’unité Adolescents et jeunes adultes (AJA), l’un des fils rouges.
« Sans blouse blanche, souligne-t-elle. Quand je reviens de congés, certains m’attendent. Mais ce n’est pas tant pour les activités que pour avoir quelqu’un hors du médical, de bonne humeur, qui parle fort dans les couloirs. »
Marie-Cécile Lefort est l’autre fil rouge de ce service de huit lits. Infirmière coordinatrice, elle reçoit tous les 15-25 ans de Curie et met en musique les traitements, la scolarité ou l’emploi, ceci tout au long de leur parcours (qui dure en moyenne 10 à 12 mois), voire après la rémission. C’est elle aussi qui répond au numéro de téléphone qu’elle leur donne à leur première admission, et qu’ils sollicitent, souvent par SMS, à la moindre inquiétude. « Parfois, c’est une angoisse après avoir surfé sur internet, parfois une interrogation mêlée de culpabilité lorsqu’ils ont fumé leur première cigarette, ou une question sur la sexualité. Ou juste un smiley triste qu’il faut décrypter, décrit-elle. Il est indispensable de les mettre en confiance, ne serait-ce que pour espérer leur compliance. Pour cela, il faut les accueillir en tant que jeune : comprendre et respecter leur construction identitaire, accompagner leur projet de vie. » Ceci même dans les situations les plus dramatiques, où le jeune se retrouve en CDI, « chimio à durée indéterminée ».
Des préoccupations propres aux AJA
Le respect des spécificités de ces jeunes frappés en plein envol est la valeur que partagent tous les acteurs de l’unité AJA de Curie, qui sont unanimes : un tel lieu est nécessaire à plus d’un titre. « Ils rencontrent d’autres jeunes et se sentent moins seuls. Malgré des différences entre un adulte qui travaille et un lycéen, on voit souvent les plus âgés prendre sous leur aile les plus jeunes ; les liens sont très forts », constate Marie-Cécile Lefort.
Comment continuer sa vie scolaire ou professionnelle ? Comment surmonter les bouleversements dans les relations avec parents, amis, amours ? Comment gérer la sexualité et l’image du corps ? Les AJA partagent des préoccupations qui leur sont propres. « La maladie et les traitements viennent interrompre la construction de soi, de leur vie ; alors qu’ils prenaient leur autonomie, les médecins et parents reprennent le contrôle de leur temps. À l’âge où l’on se sent invincible, ils sont confrontés au risque de la mort », analyse le Dr Étienne Seigneur, pédopsychiatre de l’unité AJA. « Ils veulent à la fois qu’on les reconnaisse dans ce qu’ils traversent et qu’on les regarde comme avant, sans aucune pitié ni inquiétude », observe-t-il.
Les soignants, préoccupés en priorité par les questions de survie et de rechute, doivent donc être formés à cet âge et à l’écoute de ces problématiques. « Tout l’enjeu est de respecter leur autonomie naissante et de prendre en compte leur vulnérabilité persistante », résume le pédopsychiatre. Les professionnels de Curie sont aussi à l’écoute de l’entourage ; les frères, sœurs, amis, amoureux peuvent être accompagnés par les psychiatres et psychologues. « Un jeune m’a demandé : tu peux gérer ma mère, se souvient Marie-Cécile Lefort, qui a aussi à faire avec les professeurs. Parfois, il faut les convaincre de laisser le jeune passer son bac ».
Pour prendre soin de ces « boules à facettes » que sont ces jeunes, les professionnels de l’unité misent sur la pluridisciplinarité. Et le dialogue. « Nous sommes connus dans l’hôpital pour être tout le temps en réunion », s’amusent-ils. Car les jeunes ne vont pas dire la même chose à l’oncologue qu’à la pédiatre ou encore à l’infirmière coordinatrice ou au psychiatre. La préservation de la fertilité, si elle est évoquée dès la consultation d’annonce, est souvent réabordée avec l’infirmière coordinatrice ultérieurement. Le travail en équipe permet en sus de ne pas se laisser désarçonner par un jeune.
Des spécificités médicales
La création d’une unité spécifique AJA s’impose aussi en raison des spécificités médicales de ces cancers, défend la Dr Valérie Laurence, l’oncologue médicale à l’origine du service dont elle est aujourd’hui responsable. À côté des tumeurs de type pédiatrique (leucémies) ou adulte (thyroïde, sein, mélanomes), existent des tumeurs spécifiques (ostéosarcomes, sarcome d’Ewing, lymphomes en particulier de Hodgkin, tumeurs germinales et cérébrales). « Les cancers des AJA sont des maladies rares et complexes ; même un cancer du sein, à 22 ans, sera différent d’un autre chez une femme de 50 ans », explique la Dr Laurence. D’où la nécessité, estime-t-elle, de travailler en lien avec une pédiatre, en l’occurrence la Dr Camille Cordero, « car nous n’avons pas les mêmes réflexes et nous apprenons l’une de l’autre ».
Animée par la volonté d’offrir l’excellence à tous ces jeunes, la Dr Laurence défend auprès des autorités nationales leur prise en charge dans des centres avec dispositifs AJA dédiés (unité ou équipe mobile), comme le veut une circulaire de 2016 (plan Cancer 2). Une vingtaine existe aujourd’hui en France, sous l’impulsion du plan Cancer 3. « Il est essentiel que les oncologues et hématologues adultes s’intéressent à ces patients, même s’ils représentent seulement 2 % de leur patientèle (versus 15 % pour les pédiatres) », considère celle qui se bat aussi pour que les réunions de concertation pluriprofessionnelles (RCP) pour ces AJA soient éclairées par cette double expertise, indépendamment du seuil des 18 ans.
La spécialiste espère que la nouvelle stratégie décennale sera l’occasion d’harmoniser la structuration des dispositifs AJA sur le territoire. Sans oublier le renforcement de l’articulation entre soins et recherche, sur le modèle du centre Siredo (Soins, Innovation, Recherche, en oncologie de l’Enfant, de l’aDOlescent et de l’adulte jeune), lancé en 2017 pour favoriser les allers-retours entre la clinique et le laboratoire.
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