C’est une question de pratique cardiologique quotidienne. Face à un patient ayant une maladie coronaire stable, symptomatique ou non, et une ischémie myocardique démontrée : doit-on faire une coronarographie précocement dans l’objectif de proposer une revascularisation coronaire ? Peut-on attendre, en surveillant le patient sous traitement médical adapté, pour ne proposer une coronarographie qu’en cas d’aggravation clinique ? L’attitude invasive précoce, actuellement proposée, n’est pas strictement validée. Elle a comme support essentiel des analyses complémentaires d’essais thérapeutiques contrôlés.
Le coroscanner en première intention
Afin de juger de la valeur de cette stratégie, les auteurs de l’étude randomisée ISCHEMIA (International Study of Comparative Health Effectiveness With Medical and Invasive Approaches) ont mis au point un protocole original. En effet, les patients devaient avoir à l’inclusion une ischémie myocardique (qu’ils soient symptomatiques ou non), modérée à sévère, une fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) supérieure à 35 % et un débit de filtration glomérulaire supérieur ou égal à 60 ml/min. Par contre, ils ne devaient pas avoir de syndrome coronaire aigu.
Ils passaient tous un coroscanner (dont le résultat n’était pas communiqué au médecin investigateur). En cas de lésion du tronc commun coronaire gauche, ils étaient orientés vers la revascularisation coronaire. En l’absence de lésions coronaires, ils n’étaient pas inclus. Ainsi, l’investigateur savait que les patients inclus avaient des lésions coronaires, mais pas du tronc commun.
Les patients inclus recevaient un traitement médical adapté à la maladie coronaire et, si besoin, aux symptômes. À l’issue de la randomisation, ils avaient soit une coronarographie, afin d’effectuer si possible une revascularisation coronaire par angioplastie ou pontage (groupe intervention), soit uniquement le traitement médical, avec une surveillance afin de réaliser une revascularisation coronaire en cas d’aggravation clinique (groupe contrôle).
Des résultats controversés
Au terme d’un suivi moyen de 4 ans, les taux d’événements du critère primaire (décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde [IDM] non fatals, arrêts cardiaques ressuscités, hospitalisations pour angor instable ou insuffisance cardiaque) ont été de 15,5 % dans le groupe contrôle et de 13,3 % dans le groupe intervention. Il n’y avait pas de différence significative entre les deux groupes (HR : 0,93 ; IC 95 % : 0,80-1,10 ; p = 0,34) ; alors que 5 179 patients âgés en moyenne de 64 ans, dont 77 % d’hommes, ont été inclus dans cet essai. Concernant le critère primaire, aucun des sous-groupes analysés (selon le diabète, l’apparition ou l’aggravation récente d’un angor, les lésions tronculaires, l’atteinte de l’artère interventriculaire antérieure proximale et la sévérité de l’ischémie) n’a tiré de bénéfice de la stratégie invasive précoce.
D’autre part, aucune différence significative n’a été observée entre les groupes concernant la mortalité cardiovasculaire (HR : 0,87 ; IC95 % : 0,66-1,15), la mortalité totale (HR : 1,05 ; IC95 % : 0,83-1,32), les IDM (HR : 0,92 ; IC95 % : 0,76-1,11) et les AVC (HR : 1,22 ; IC95 % : 0,79-1,88). Cependant, une amélioration modeste, mais significative, de la qualité de vie a été rapportée dans le groupe intervention (versus groupe contrôle), ainsi que moins d’angor chez les patients initialement symptomatiques. Enfin, le taux d’événements du critère primaire a été plus élevé lors des deux premières années de suivi dans le groupe intervention (différence absolue entre les groupes : 1,9 %) et plus faible entre la deuxième et la quatrième année (différence absolue : 2,2 %), les courbes d’événements se croisant après deux ans de suivi moyen. Ainsi, avec un suivi à plus long terme, les prochains résultats pourraient laisser apparaître un bénéfice clinique en faveur de la stratégie invasive précoe.
Si a priori cette étude n’est pas en faveur d’une indication de la coronarographie précoce en cas d’ischémie myocardique documentée et de maladie coronaire stable, elle a suscité de nombreux commentaires contradictoires entre les partisans et les opposants à la coronarographie précoce.
Judith S. Hochman, présentation orale du 16 novembre 2019
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