AVEC LE SUCCÈS de la chirurgie bariatrique chez l’obèse diabétique, on est passé du concept de chirurgie de l’obésité à celui de chirurgie métabolique. Peut-on pour autant élargir ses indications aux diabétiques à obésité modérée (IMC : 30 et 35), comme le suggère l’International Diabetes Federation (IDF) lors de diabète mal contrôlé ? (1) Alors qu’aujourd’hui, les indications de la chirurgie bariatrique sont limitées à l’obésité morbide (IMC› 40 kg/m2) et à l’obésité sévère (IMC› 35 kg/m2) associée à une comorbidité sévère (HTA, diabète de type 2, apnée du sommeil). Telle est la question qui sous-tendait la controverse menée sur la chirurgie bariatrique au congrès de la société francophone du diabète (SFD). Débat dans lequel le Pr Fabrizio Andreelli (Pitié-Salpêtrière, Paris) a brillamment exposé les limites de la chirurgie métabolique. « Une chirurgie fort utile mais qui ne doit pas être survendue », selon lui.
Une efficacité parfois surestimée.
« L’effet sur le poids de la chirurgie bariatrique n’est pas toujours pérenne. Bon nombre de perdus de vue dans les études sont liés à ces échecs. Or le bénéfice métabolique dans le temps est dominé par l’effet sur le poids. Et quand un patient est en échec après une technique définitive comme le by-pass, on a souvent tiré sa dernière cartouche. Les besoins en insuline sont en effet à la fois cellules bêta dépendants et poids dépendants. Du coup, si on excède la capacité des cellules bêta en reprenant du poids et dépassant son poids critique, à 10 ou 15 kg près on peut obérer le bénéfice métabolique », explique le Pr Andreelli.
« Par ailleurs, nombre d’études antérieures à 2003 surestiment le bénéfice sur le diabète, souvent limité à l’arrêt des traitements, sans critères d’HbA1c ni de glycémie ». Il a en effet fallu attendre 2003 pour avoir une définition stricte de la guérison et de l’amélioration. « La résolution (guérison) du diabète est, depuis, strictement définie par une HbA1c inférieure à 6,5 % plus une glycémie à jeun inférieure à 1,1 g/l sans traitement antidiabétique. Quand l’amélioration repose sur une amélioration de l’HbA1c – réduite d’au moins 1 % – ou de la glycémie à jeun – réduite de 0,25 g/l – ou sur l’arrêt ou la réduction du traitement antidiabétique – arrêt d’un ADO ou réduction de 50 % de la dose d’insuline », rappelle Fabrizio Andreelli (2).
De la chirurgie bariatrique à la chirurgie métabolique.
« Avant de parler de chirurgie métabolique, encore faut-il préciser à quel type de patient on s’adresse. Un homme de 45 ans hyperobèse (IMC 53 ; tour de taille 153 cm) dont l’HbA1c est à 8 % sous un antidiabétique oral (ADO) est typiquement un patient relevant d’une chirurgie de l’obésité. Quand un homme du même âge, peu obèse (IMC 31, tour de taille 90 cm), présentant une HbA1C à 10 % sous insuline plus 3 antidiabétiques oraux est typiquement un patient de diabétologie chez lequel se pose la question d’un chirurgie métabolique. » Or, comparativement aux super obèses diabétiques – que l’on voit très rarement en unité de soins intensifs cardiologiques (USIC) comme le font remarquer les cardiologues – ces diabétiques peu obèses ont une maladie grave, compliquée… « On n’est donc sûrement pas dans le même type de diabète en chirurgie de l’obésité et chirurgie métabolique », résume le Pr Andreelli.
Or les facteurs de bon pronostic de résolution du diabète post-chirurgie sont essentiellement issus d’études sur la chirurgie de l’obésité. « Dans cette chirurgie, ces facteurs sont : un plus grand excès de poids, une insulinosécrétion résiduelle, un diabète relativement récent (moins de 10 ans) et une glycémie préopératoire faible (3). On manque de données dans les IMC peu élevés. Mais le contrôle glycémique préopératoire semble important à rechercher », note le Pr Andreelli. Quant au taux d’échecs de résolution du diabète dans ces mêmes séries, y compris après by-pass, il est globalement à 7-10 % d’échecs immédiats et 15 % de récidives à 3-5 ans.
Mais il faut bien comprendre qu’« une chirurgie métabolique n’est pas, et ne doit pas, être une chirurgie de l’IMC, mais une chirurgie du métabolisme. Son indication n’est pas l’IMC mais un statut métabolique particulier : diabète réfractaire, diabète avant l’escalade thérapeutique, diabète compliqué, voire une prévention du diabète, souligne Fabrizio Andreelli. Ainsi, dans notre service à la Pitié-Salpêtrière, sur une série de 250 patients consécutifs obèses diabétiques de type 2 hospitalisés, l’IMC moyen observé est à 27 kg/m2 pour une HbA1c aux environs de 10 %. Soit un IMC moyen modeste, typique des patients pour lesquels se pose aujourd’hui la question de la chirurgie métabolique. »
Avantage à l’anneau pour la chirurgie métabolique ?
« On dit toujours que le by pass gastrique (by pass selon la technique du Roux-en-Y) fait perdre plus de poids. Pourtant, à long terme, on a quasiment les mêmes taux de résolution du diabète qu’avec l’anneau gastrique », selon Fabrizio Andreelli. Alors, faut-il réhabiliter l’anneau ?
L’enquête CNAM (4) montre que l’anneau gastrique est en net recul. Alors qu’entre 2006 et 2011, le nombre d’interventions a doublé – passant de 15 à 30 000/an – l’anneau gastrique ne représente plus en 2011 que 25 % des interventions, contre 44 % pour la gastrectomie (sleeve) qui a explosé, et 31 % pour le by-pass gastrique, lui-même en plein boom. Il semblerait que cette technique soit plébiscitée en Rhône Alpes et Ile-de-France, qui restent les deux seules régions où l’on pose encore beaucoup d’anneaux. Et les techniques se multiplient…
« Si l’effet du by-pass est très impressionnant sur le diabète, avec une résolution très rapide, devançant la perte de poids, les complications augmentent quand on dérive les aliments. En outre les patients, sortis de l’ALD pour diabète, vont devoir prendre des vitamines, non remboursées. Et le diabète étant une maladie chronique, dans laquelle les patients ont développé une certaine tolérance aux hypoglycémies, une résolution métabolique s’étalant sur 6 mois comme avec l’anneau est plutôt mieux adaptée, avec moins de risque d’hypoglycémies, selon le Pr Andreelli. À long terme, la comparaison du by-pass à l’anneau gastrique montre que c’est la perte de poids qui est déterminante sur la résolution du diabète. Perdre 20 % de poids améliore de la fonction bêta cellulaire. Résultat, à 2-3 ans, anneau et by-pass tendent à faire jeu égal pour la résolution du diabète. Et, même dans les IMC élevés, l’anneau est intéressant. Il y a d’ailleurs des études australiennes très favorables au recours à l’anneau chez les adolescents obèses. »
Des mécanismes d’action multiples, pas uniquement GLP1-dépendant.
« Le diabète de type 2 est une pathologie multifactorielle. Parallèlement, les mécanismes impliqués dans la guérison métabolique sont multiples, loin d’être clairement élucidés, et pas toujours poids-dépendants, ni exclusivement liés à une insuffisance en incrétines et GLP1, résume le Pr Andreelli. Les diabétiques de type 2 ne sont pas nécessairement carencés en incrétines (5). Certains obèses diabétiques ne sont pas carencés en GLP1. Autre fausse croyance : augmenter le GLP1 ne majore pas systématiquement l’insuline. L’insuline peut parfois baisser. Ainsi dans notre série de 45 diabétiques, 7 ou 8 patients n’ont pas eu d’augmentation de GLP1 après by-pass. Ils ont néanmoins perdu du poids. Enfin, il reste très difficile d’expliquer comment l’augmentation de GLP1 associée au by pass fonctionne. D’où vient-elle ? Le mécanisme est assez complexe. Il est en partie régulé par les récepteurs du goût situés dans la bouche. Et le by-pass n’est pas la seule technique induisant une augmentation du GLP1. La gastrectomie (sleeve) n’est pas une technique exclusivement restrictive. Elle aussi impacte les peptides intestinaux et les taux de GLP1 et peptide C. La prothèse duodénale (manchon en plastique tapissant le duodénum), aussi… En réalité, dès qu’on touche une partie de l’estomac ou de l’intestin, on modifie les sécrétions hormonales. »
Alors, quel type de chirurgie métabolique privilégier chez le diabétique peu obèse ? « On devrait préférer les techniques induisant peu de complications métaboliques, du moins nutritionnelles et peut-être même celles qui sont réversibles », selon Fabrizio Andreelli. D’autant qu’en l’absence d’études spécifiques dédiées, le bénéfice dans les diabètes de type 2 d’IMC inférieur à 35 kg/m2 reste à prouver. Et le ratio bénéfice/risque, vus les effets secondaires attendus (dénutrition, carences vitaminiques…), doit être précisé.
D’après une intervention du Pr Frabrizio Andreelli (CHU Pitié-Salpêtrière, Paris).
(1) Bariatric surgery : an IDF statement for obese Type 2 diabetes. Diabet Med 2011 ; 28:628-42.
(2) PR Schauer et al. Annals of Surgery, 2003.
(3) JB Dixon et al. Diabetes Care 2002.
(4) Abstract O60
(5) MA Nauck et al. Secretion of GLP1 in diabetes : what is up, what is down ? Diabetologia 2011;54:10-18.
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