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Dossier

Après une mise en place difficile

Une année 2020 charnière pour le plan France médecine génomique

Par Damien Coulomb - Publié le 13/11/2020
Une année 2020 charnière pour le plan France médecine génomique

17 000 séquençages du génome entier par an dans les maladies rares et 13 000 en oncologie
Phanie

Après quatre ans d'efforts, les outils sont enfin en place pour adresser les patients et leurs familles aux deux plateformes de séquençage haut débit déployées en France. Seulement 2 500 patients pouvaient avoir accès au diagnostic génomique en 2019, ils sont désormais 30 000.

Pas si simple d'inclure le séquençage du génome entier dans le soin courant… Lancé en juin 2016, le plan France médecine génomique 2025 a essuyé de nombreuses critiques quant à la lenteur de son déploiement. L'année 2020 aura connu la levée d'un grand nombre d'obstacles au lancement « en vie réelle » du séquençage génome entier dans le parcours de soins.

Ce plan avait pour objectif initial le déploiement de 12 plateformes de séquençage et l'analyse de 235 000 génomes à l'horizon 2025, soit un rythme de 50 000 par an. Certes ces indicateurs chiffrés ne seront sans doute pas atteints. Mais, comme l'expliquent les deux responsables de la coordination opérationnelle du plan, les Prs Frédérique Nowak et Christel Thauvin-Robinet, l'année 2020 s'est caractérisée par de spectaculaires progrès en matière d'organisation. « Il y a un temps d'incubation long qui a été mal anticipé, mais ça y est, on a le premier étage de la fusée », affirme la Pr Nowak.

2 000 génotypages prescrits

Cela ne se traduit pas encore en nombre de génomes séquencés, puisqu'un peu plus de 2 000 séquençages ont été prescrits et approuvés par une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) en amont à ce jour. Selon un bilan datant du 31 août 2020, 25 comptes rendus seulement ont été remis aux prescripteurs, pour des délais de rendu d’un à deux mois pour les cancers et de six mois en moyenne pour les maladies rares. La dynamique est toutefois lancée, avec plus de 700 prescripteurs autorisés pour chaque plateforme. « La crise sanitaire a retardé un peu plus le décollage de l'activité, mais le nombre de prescriptions ne cesse d'augmenter depuis juin », se réjouit toutefois le Pr Damien Sanlaville, généticien aux Hospices Civils de Lyon, responsable d'Auragen, l'une des deux plateformes de séquençage en France. « On espère que la nouvelle vague du Covid ne viendra pas briser notre dynamique », s'inquiète-t-il.

Un indice important qui rend compte des progrès effectués cette année : la validation de 43 nouvelles pré-indications, portant leur total à 51 pour les maladies rares, à deux pour l’oncogénétique et huit en cancérologie. « Le plus fort coup d'accélérateur s'est produit en janvier 2020, quand le nombre de pré-indications a été multiplié par cinq », se souvient le Pr Sanlaville. Les syndromes malformatifs et dysmorphiques sans déficience intellectuels constituent l'une des nouvelles pré-indications majeures, représentant à elles seules 2 000 patients potentiels par an.

Avec ces nouvelles pré-indications, le nombre attendu de personnes (patients et leurs apparentés) pouvant bénéficier d'un séquençage du génome entier est désormais de 17 000 par an dans les maladies rares (contre 1 500 avec les pré-indications de 2019) et de 13 000 en oncologie (contre 1 000 l'année passée).

Les pré-indications, un système particulier

L'intégration de ces nouvelles pré-indications est un processus assez long. Un dossier doit d'abord être déposé auprès du groupe de travail du plan, qui l'accepte ou pas en fonction de la valeur ajoutée du séquençage génome entier.

Les acteurs des filières structurent les RCP et les réseaux de prescripteurs, qui doivent eux aussi être approuvés par le plan. Un parcours du combattant, comme le détaille la Pr Nowak : « Il faut identifier les spécialistes siégeant dans les RCP, déterminer s'il faut une RCP nationale ou plusieurs régionales, nommer un coordinateur national, organiser le secrétariat… », énumère-t-elle. « Des habitudes ont été chamboulées, renchérit la Pr Thauvin-Robinet. Des filières dotées de grosses files actives disposaient déjà de RCP régionales, mais ces dernières se retrouvent confrontées à des problèmes d'engorgement. Il y a aussi des RCP historiques à cheval sur deux territoires ou deux indications qu'il a fallu remanier. »

À la fin de la période couverte par le plan, la Haute Autorité de santé devra statuer sur la pérennisation de ces pré-indications et de leur transformation en indications prises en charge par la Sécurité sociale (ou par un autre dispositif).

Des taux élevés de non-conformité

Si les progrès sont palpables, tout est loin d'être réglé : « Depuis janvier 2020, nous avons eu 64 % de prescriptions non conformes, dont 41,6 % de consentements mal remplis », témoigne le Pr Damien Sanlaville. Les plateformes ont aussi parfois reçu des extractions d'ADN alors qu'il serait préférable de travailler à partir d'échantillons sanguins. « On doit encore faire de la formation et de la pédagogie, mais sur les dernières prescriptions reçues, la part de non-conformité est descendue à 35 % », poursuit le Pr Sanlaville.

En cancérologie, un des obstacles majeurs reste le circuit du prélèvement. « Les anatomopathologistes ont l'habitude d'un circuit diagnostic, dans lequel les échantillons sont conservés dans de la paraffine, ce qui est très mauvais pour le séquençage, explique le Pr Sanlaville. Nous avons besoin d'échantillons congelés ». 

La question de l'interprétation reste à affiner, puisque seuls les interprétateurs internes à SeqOIA et Auragen sont pour l'instant autorisés. Pour le responsable de la filière des maladies rares endocrines Firendo, le Pr Jérôme Bertherat de l'hôpital Cochin (AP-HP), la double interprétation est une évidence. « Un premier compte rendu généraliste par un expert de la plateforme qui connaît bien son outil doit être doublé d'une analyse plus fouillée par un généticien qui connaît bien la maladie », explique-t-il. Un avis que partage la Pr Hélène Dollfus, coordinatrice de la filière de maladies rares sensorielles Sensgene. « Il faut davantage impliquer des experts français au fait de la pathologie et la littérature sur les gènes, sinon cela ne fonctionnera pas ».

Le directeur général de l'AFM-Téléthon, Christian Cottet, ne cache pas son irritation sur le retard pris dans ces chantiers : « En 2020, on en est encore à s'interroger sur l'organisation de l'interprétation des données, s'agace-t-il. Ce débat date de 2018 ! ».

Pour ce qui est de l'avenir du plan, ses objectifs seront à revoir, à commencer par les 12 plateformes de séquençage normalement prévues. « Ce nombre a été surestimé, concède la Pr Thauvin-Robinet. La capacité de 50 000 patients par an peut être atteinte avec un nombre plus réduit de structures, ne serait-ce que parce que les technologies ont évolué depuis la rédaction du plan et permettent maintenant de séquencer
davantage pour moins cher. »

Damien Coulomb