LE QUOTIDIEN : Quelles sont les particularités de la propriété intellectuelle appliquée aux vaccins ?
JEAN-CHRISTOPHE GALLOUX : Il faut commencer par dire qu’il n’y a pas de titre de propriété mondial et que les brevets sont délivrés au niveau national dans le cas des brevets européens. Si l’on parle de « levée des brevets », cela ne pourrait se faire que pays par pays.
La seconde chose à comprendre est que, bien qu’il s’agisse de titres nationaux, il existe une harmonisation qui s’est renforcée au fil des années au niveau de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et donc au sein de ses pays membres, soit neuf pays sur dix dans le monde.
Jusqu’en 1959, la France ne brevetait pas les médicaments, qui ne sont devenus pleinement brevetables qu’en 1968. L’Espagne et le Portugal, qui ont rejoint l’Union européenne en 1986, ne permettaient pas la brevetabilité des médicaments auparavant. L’Inde a également attendu son adhésion à l’OMC pour le faire. Avant cela, ils pouvaient vendre des copies sans payer de royalties.
Les vaccins à ARNm relèvent de la biotechnologie. Cela a-t-il une conséquence sur
sa brevetabilité ?
Qu’il s’agisse de vaccins à ARNm ou de produits à partir de souches inactivées, les brevets suivent les exigences du droit commun. En revanche, les éléments brevetables nécessaires à la fabrication de tels vaccins sont très divers, on a donc affaire à des brevets assez complexes couvrant plusieurs technologies. On peut aussi avoir une dépendance entre le laboratoire ayant mis au point le vaccin et les équipes à l’origine des innovations en amont.
Dans ce contexte, la levée des brevets prônée par des ONG et certains chefs d’État vous paraît-elle crédible ?
Il faut se méfier des simplifications. La levée des brevets est une expression qui ne veut rien dire d’un point de vue juridique. Dans aucun pays du monde, il n’est possible de supprimer un brevet. Certes, il existe comme pour toute propriété, en particulier immobilière, une possibilté pour les états d’exproprier un propriétaire selon le droit commun. Il a été appliqué pour la dernière fois au sortir de la Grande Guerre quand certains titres allemands ont été expropriés au titre des réparations de guerre. Une expropriation sans indemnisation est juridiquement impossible dans les pays du Nord et déboucherait sur des années de procès.
En revanche, il est prévu un système de licence obligatoire dans l’article 30 du code de l’OMC : il consiste à forcer la main du titulaire d’un brevet pour qu’il autorise plus d’acteurs à produire un médicament en utilisant la technologie protégée.
Les nouveaux producteurs devraient, dans ce cadre-là, indemniser raisonnablement les titulaires.
Les accords de Doha permettent aussi de délivrer des licences obligatoires pour que les titulaires dans les pays riches du Nord autorisent des acteurs, au sein de ces mêmes pays, à produire et exporter dans les pays à revenus limités.
Ces solutions vous paraissent-elles plus crédibles qu’une expropriation ?
Le principal problème avec la licence d’office est qu’elle n’est pratiquement jamais utilisée : tout simplement parce que les laboratoires n’ont aucun intérêt à ne pas délivrer spontanément des licences s’ils n’ont pas des capacités de production suffisantes.
C’est une logique économique : les capacités de production sont souvent situées dans des pays riches et, si leurs propres marchés sont saturés, ils ne produisent pas pour autant dans les pays du Sud où ils ne vont pas gagner grand-chose. Ils n’ont donc aucun problème à laisser d’autres le faire. Les premiers producteurs de vaccins anti-Covid ont déjà amorti leurs investissements pour les pays riches et ils seraient certainement preneurs de toute solution qui leur permettrait de produire davantage à des coûts raisonnables.
Pourquoi n’y a-t-il pas alors un recours plus large aux licences ?
La méthode de fabrication des vaccins est publique, puisqu’elle figure dans les brevets, mais il y a aussi un « savoir-faire » qui demeure secret. Ceux qui bénéficient d’une licence ont besoin de l’aide du titulaire des brevets pour mettre en place les moyens de production efficaces. Si on force la main des titulaires de brevets, ils seront moins enclins à collaborer. Il y a également des problématiques de bonnes pratiques de production, de logistique et de distribution. On ne peut pas monter rapidement des lignes de production à partir de rien. En France, Sanofi a mis plusieurs mois avant d’aider AstraZeneca à conditionner ses vaccins .
Enfin, la production de vaccin repose sur une chaîne de fournisseurs et de matières premières très complexe et peu maîtrisée. Prenez l’exemple d’AstraZeneca : le laboratoire a engrangé des contrats, mais dès qu’un fournisseur lui a fait défaut, il a dû diminuer, voire arrêter sa production, fournissant des vaccins à ceux qui payaient le mieux. Il faut vraiment que les aurorités de santé aient une meilleure vision de ces questions industrielles et des chaînes d’approvisionnement pour les médicaments essentiels.
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