LE QUOTIDIEN : Quelles sont les conditions pour qu'un pathogène passe de l'animal à l'homme ?
MURIEL VAYSSIER : Tout d'abord, il faut rappeler que 60 % des maladies infectieuses humaines ont une origine animale, et le taux monte à 75 % pour les maladies émergentes actuelles. Un tel événement n'arrive que s'il y a des contacts fréquents entre des populations humaines et un animal vecteur, soit par contact direct, soit indirectement via les sécrétions animales ou des arthropodes. Ensuite, il faut que l'agent pathogène — virus, bactérie ou parasite — dispose du récepteur adéquat pour infecter l'Homme. Enfin, il faut qu'il ait la possibilité de se multiplier dans les cellules humaines puis de se transmettre. En général, il s'agit d'agents pathogènes phylogénétiquement proches de ceux qui infectent déjà l'Homme.
Quels sont les changements susceptibles d'augmenter l'apparition de zoonose ?
La réponse à cette question est très dépendante de l'agent infectieux, du mode de transmission ou de la région géographique concernée. Chaque cas est unique, mais globalement, on sait que les perturbations des écosystèmes naturels forcent le contact entre humains et animaux sauvages porteurs de pathogènes. Le SARS-CoV-2, par exemple, qui vient de la chauve-souris, aurait recombiné avec d'autres virus chez des pangolins en contact avec l'homme.
La compréhension des raisons d'une émergence particulière est toujours rétrospective. On sait maintenant que l'émergence du virus Nipah, dans les années 1990, vient du fait que les chauves-souris ont été obligées de quitter leur habitat, suite à la déforestation, pour se nourrir sur des arbres fruitiers. Elles ont ensuite transmis le Nipah aux cochons d'élevage, qui l'ont eux-mêmes transmis à l'homme.
À partir de ces travaux sur les épidémies passées, peut-on anticiper les futures émergences, voire les prévenir ?
Tout l’enjeu est là ! Des évaluations de risque des pratiques agricoles peuvent être faites. Il y a en ce moment une tendance croissante en faveur du retour de l'élevage en plein air. On pourrait penser que cela expose les animaux à davantage de contacts avec la faune sauvage, mais ce mouvement s'accompagne d'une augmentation de la diversité génétique des animaux, ce qui les rend moins sensibles à un pathogène unique.
Les études d'impact des pratiques agricoles doivent tenir compte des coutumes, des pratiques et du contexte local. Ce qui mobilise des compétences multidisciplinaires : vétérinaires, économistes, sociologues, acteurs économiques locaux, pouvoirs publics… Il n'y aura pas de solution générique. Les régions qui ont le plus besoin de ce genre de coopération sont les régions tropicales, où la biodiversité est la plus mise à mal au profit d'un élevage intensif.
Est-il pertinent d'exercer une surveillance des pathogènes qui circulent dans la faune sauvage ?
Des échantillonnages aléatoires dans les réservoirs animaux sont intéressants du point de vue de la recherche, mais pas de celui de la santé publique. Si on cherche des virus dans des animaux sauvages, on va en trouver plein mais cela ne nous renseignera pas sur leur risque d'émergence dans les communautés humaines. Par exemple, pour le virus Ebola, on peut tester des milliers de chauves-souris et n'obtenir au final que très peu de cas positifs.
C'est pourquoi des plates-formes d'épidémiosurveillance sont dédiées aux maladies connues et que des outils d'intelligence artificielle sont développés pour détecter des signaux faibles d'épidémie via les moteurs de recherche, les pics d'entrées dans les hôpitaux, ou les réseaux sociaux.
Assiste-t-on à une augmentation du nombre d'épidémies dans le monde ?
En 1960, il y avait une centaine d'épidémies humaines. En 2010, ce nombre se situait entre 500 et 600 par an. Certes, on les détecte mieux, mais un autre indicateur confirme qu'il y a bien une accélération : entre 2005 et 2018, le nombre a été multiplié par trois chez les animaux d'élevage.
Au début des années 1960, on pensait que l'amélioration des conditions d'hygiène était en train de venir à bout des épidémies humaines. Depuis, les déséquilibres entre la nature et l'homme les ont fait augmenter de nouveau.
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