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Dossier

Plus de 200 candidats

Vaccin Covid : un développement à marche forcée

Par Damien Coulomb - Publié le 22/09/2020
Vaccin Covid : un développement à marche forcée

La vitesse ne doit pas empêcher une évaluation soigneuse
Phanie

Un vaccin contre le Covid-19 est espéré par les hommes politiques de tout pays pour venir à bout de la pandémie. Avec plus de 200 vaccins en développement, dont six en phase 3, jamais les chercheurs et les agences réglementaires n'auront travaillé aussi rapidement. Cette course de vitesse soulève des craintes, quant à l'utilisation de technologies jamais utilisées en vie réelle.

« Nous avons des perspectives qui sont raisonnables d'avoir un vaccin dans les prochains mois ». Fin août, le président de la République, Emmanuel Macron se voulait rassurant. L'épidémie de Covid-19 se caractérise en effet par un foisonnement de candidats vaccins et une vitesse de développement sans précédent.

Quelque 211 vaccins seraient en développement selon le think tank économique Milken Institute et la Coalition pour les innovations et la préparation contre les épidémies (CEPI). Dont six sont actuellement en phase 3 : trois vaccins chinois basés sur des SARS-CoV-2 atténués (deux de Sinopharm et un Sinovac), deux vaccins à ARN (développés par Moderna et BioNTech/Pfizer) et un vaccin basé sur un autre non réplicatif (développé par AstraZeneca et l'université d'Oxford).

« C'est la première fois que l'on assiste à une situation aussi intense et accélérée, explique la Pr Odile Launay, directrice du centre d'investigation clinique de vaccinologie Cochin-Pasteur. Des financements absolument considérables ont été débloqués. »

Une telle ruée vers les vaccins de la part des autorités sanitaires permet-elle d'espérer un vaccin à brève échéance ? Le Pr Bruno Lina, virologue aux Hospices civils de Lyon et membre du Conseil scientifique, répond par la négative : « les questions de sécurité et d'efficacité sont encore si nombreuses qu'il n'est pas responsable de promettre un vaccin d'ici quelques mois », affirme-t-il.

Concernant la sécurité, la Pr Odile Launay tempère le discours : « On n'est jamais à l’abri d'effets indésirables quand on vaccine en plus grand nombre après la mise sur le marché d’un nouveau vaccin, mais la vitesse de réalisation des essais ne doit pas empêcher d’évaluer soigneusement la sécurité du vaccin : les études phase 3 comportent un très grand nombre de sujets pour mesurer l’efficacité du vaccin mais aussi pour avoir des données solides sur sa sécurité ».

Il convient de citer le cas très particulier du vaccin Spoutnik V (association de rAd26-S et de rAd5-S) dont l'utilisation dans le grand public a été autorisée par le Kremlin avant même la publication dans le « Lancet » (1) de résultats chez seulement 76 volontaires. Une décision qui n'a « aucun sens » selon le Pr Frédéric Tangy, directeur du laboratoire d'innovation vaccinale de l'Institut Pasteur. « Il faut normalement des études de phase 3 menées sur plusieurs dizaines de milliers de personnes pour qu'un vaccin soit rendu disponible pour le grand public », rappelle-t-il.

Loin des standards

Le parcours de validation de certains vaccins contre le Covid-19 est loin des standards habituels. Ainsi, les résultats précliniques chez le primate du vaccin à ARN de la biotech américaine Moderna n'ont été publiés dans le « New England Journal of Medicine » (2) que le 14 septembre dernier, alors que le recrutement de la phase 3 COVE avait commencé en juillet. La chronologie pose question : « mener des recherches chez l'animal et chez l'humain en même temps soulève un problème éthique, explique le Pr Frédéric Tangy. Il faut s'assurer de l'innocuité des nanoparticules et des liposomes qui accompagnent l'acide nucléique ainsi que de l'absence d'intégration du génome viral dans celui des cellules humaines, même si le risque est a priori très faible ».

Ce à quoi renchérit la Pr Launay : « Si les virus à ARN ont un avantage majeur d'être facile à produire, ils ont aussi des effets secondaires importants au point d'injection ».

Les premiers arrivés seront-ils les meilleurs ?

Dans le peloton de tête, la présence de vaccins vivants inactivés n'est pas étonnant : leur technologie est maîtrisée et leur mise au point peu complexe. Pour autant, ce n'est pas d'eux que des spécialistes comme Frédéric Tangy attendent les meilleurs résultats. « Les vaccins produits à partir de virus inactivés, comme celui de la grippe, ne sont pas très performants », explique-t-il. Ces vaccins sont entièrement dépendants de l'immunogénicité induite par le virus en lui-même, or « on commence à avoir de plus en plus de cas documentés de réinfections de malades guéris, rappelle le Pr Frédéric Tangy, il est donc probable que l'immunogénicité soit de relativement courte durée. »

Pour se prémunir de ce problème, certaines équipes ont choisi un vecteur viral induisant une réponse immunitaire forte et durable. C'est ce que tente de faire l'équipe du Pr Tangy avec la plate-forme de production à partir de vaccin vivant réplicatif de la rougeole : « les adultes sont vaccinés contre la rougeole et ont donc une réponse immunitaire forte ». C'est aussi l'option retenue à Kobe, au Japon, par la Fondation pour l'innovation et la recherche biomédicale.

Mais la famille de vecteur la plus employée reste celle des adénovirus non réplicatifs. « Environ 95 % de la population a été exposée à l'adénovirus 5 et est donc susceptible d'avoir une forte réponse immunitaire », explique Frédéric Tangy. Le vaccin développé par AstraZeneca et l'université d'Oxford, le plus avancé, utilise l'adénovirus de chimpanzé. Ce candidat, appelé ChAdOx1 nCoV-19, a fait preuve de bons résultats de tolérance et d'efficacité dans une étude de phase 1/2 (3) mais une incertitude plane aussi sur la sécurité : « avec un vaccin vivant, on peut se contenter de mettre 1 000 ou 10 000 particules par dose contre 100 milliards pour un vaccin inactivé ou non réplicatif », explique Frédéric Tangy. Cela pourrait être à l'origine du cas d'inflammation du système nerveux central à l'origine de l'arrêt temporaire de l'essai d'AstraZeneca.

De plus, il existe un risque important d'élimination du vecteur par le patient vacciné. « On a un risque important d'immunisation, contre le vecteur par le patient vacciné, il faudra des doses importantes et des rappels », prédit ainsi la Pr Launay. On manque encore de recul vis-à-vis de ce type de vaccins à adénovirus, dont aucun n'a encore été mis sur le marché. Le dernier essai contre le VIH de Merck fut un échec retentissant avec davantage d'infections dans le groupe traité que le placebo. « La réponse au vaccin a favorisé l'infection VIH, et cela pourrait arriver pour le Covid-19 », prévient Frédéric Tangy. Quant aux deux vecteurs à adénovirus utilisés par l'institut Gamaleya pour le Spoutnik V, s'ils ont été autorisés contre Ebola et le MERS-CoV, ils n'ont jamais été administrés dans le cadre de véritables campagnes de vaccination.

Préventif ou thérapeutique ?

« Nous ne savons encore rien de l'efficacité réelle de ces différents vaccins, rappelle le Pr Lina. Deux situations peuvent se présenter : soit nous avons un vaccin préventif capable d'empêcher les infections, soit nous avons un vaccin thérapeutique qui n'empêche pas les infections mais qui prévient les formes graves, ce qui peut tout de même éviter des dizaines de millier de décès en France. Le problème, c'est que les chances d'acceptation publique ne sont pas les mêmes dans les deux cas. »

Pourrait-on imaginer une première « vague de vaccins » à l'efficacité incomplète en attendant la mise au point de vaccins procurant une véritable immunité à vie ? « On ne peut pas encore s'avancer sur une comparaison entre les vaccins, explique la Pr Launay. On ne sait même pas quel est le corrélat de protection, c’est-à-dire les niveaux de réponse humorale et de réponse cellulaire correspondant à une bonne protection contre l'infection par le SARS-CoV-2. »

Et de son côté, le Pr Frédéric Tangy y croit peu : « Une stratégie de déploiement d'un vaccin est compliquée, et il existe des mouvements de résistance aux vaccins. J'imagine mal comment on pourrait faire adhérer des gens qui savent qu'un vaccin plus performant arrivera plus tard ».

(1)  DY Logunov et al. The Lancet, 4 septembre 2020. doi.org/10.1016/S0140-6736(20)31866-3
(2) K.S.Corbet et al, New Engl J of Med, 14 septembre 2020, doi : 10.1056/NEJMoa2024671
(3) Pedro Folegatti et al, The Lancet, 20 juillet 2020, doi.org/10.1016/S0140-6736(20)31604-4

Damien Coulomb