Le manchot est en effet le seul capable de jeûner neuf mois sur 12 en plein hiver, au froid extrême (- 40°C !). Une aptitude unique à mettre en veilleuse son organisme ? « Pas du tout du point de vue des mécanismes d’adaptation à un jeûne prolongé, répond Yvon Le Maho. Quarante ans de recherches le confirment, la façon dont le manchot empereur fonctionne à l’économie est identique à celle des autres animaux ».
La majorité d’entre-eux, pour des raisons de reproduction ou conjoncturelles (de météorologie en particulier), pratiquent le jeûne à une période de l’année, un jeûne immobile ou non (lors des vols migratoires). Les animaux qui ne jeûnent pas sont en fait l’exception ! Ainsi, l’Homme en bonne santé et suivi médicalement est capable de jeûner une quarantaine de jours…
Les manchots empereurs sont certes des jeûneurs exceptionnels de par la durée de leur jeûne (lié à la reproduction). Leur “comportement thermorégulateur social“ leur facilite en effet la tâche : se grouper les uns contre les autres* leur permet de diminuer drastiquement leurs dépenses énergétiques, et ce indépendamment des carburants de leur jeûne.
Par réduction du catabolisme protéique
L’un des processus majeurs d’adaptation au jeûne prolongé, chez le manchot empereur comme chez l’Homme, est la réduction du catabolisme des protéines, obtenu en quelques jours. Le glucose, mobilisé à partir du glycogène dans le foie, est épuisé en 24 heures. En relais, pour nourrir le cerveau, l’organisme utilise un acide aminé, plus précisément l’alanine, fourni grâce à un pic transitoire de catabolisme protéique, ce qui explique l’amaigrissement rapide observé en début de jeûne, les protéines étant deux fois moins énergétiques que les lipides et surtout stockées avec beaucoup plus d’eau. Ce sont enfin les lipides qui sont préférentiellement utilisés, sources de corps cétoniques qui servent de carburant cérébral à la place du glucose. Les lipides sont deux fois plus énergétiques que les protéines et stockés avec très peu d’eau : la vitesse d’amaigrissement est ici, dans cette phase, ralentie.
Chez le manchot, après quelques jours de jeûne, les lipides assurent la presque totalité (96 %) des dépenses énergétiques, ce qui permet d’épargner les protéines dans une aussi grande mesure que possible (4 % seulement de l’énergie du manchot empereur provient des protéines). À noter que l’Homme disposant de réserves de graisse atteint la même efficacité dans la mobilisation de ces réserves et donc dans l’épargne de ses protéines. Quand l’animal a épuisé 80 % de ses réserves lipidiques, il est saisi d’une faim irrépressible le poussant à se réalimenter.
Dans les maladies chroniques
Concernant le jeûne thérapeutique, pour soigner en particulier des maladies inflammatoires chroniques, des travaux réalisés notamment en Allemagne et dans l’ex-URSS ont ouvert la voie… Même l’idée généralement admise jusqu’à présent que le jeûne puisse être incompatible avec un cancer pourrait être remise en cause par les récentes recherches de Valter Longo aux États-Unis sur des souris de laboratoire porteuses de tumeurs de cellules humaines. Les résultats ont été publiés en 2012 dans le très sérieux Science Translational Medicine : les souris à jeun supportent mieux la chimiothérapie et la combinaison jeûne/chimiothérapie s’y révèle soit plus efficace, soit nettement plus efficace que la chimiothérapie seule. En sera-t-il de même chez l’homme ? Des essais sont en cours…
D’après un entretien avec Yvon Le Maho, Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien, Département Ecologie, Physiologie et Ethologie, CNRS (Strasbourg)
* À savourer encore et toujours, le film “La marche de l’empereur“ de Luc Jacquet
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