Il y a trois ans, le 16 mai 2012, le gouvernement Ayrault 1 était nommé et Marisol Touraine devenait la nouvelle ministre de la Santé. Trois ans après, presque jour pour jour, elle occupe toujours les bureaux de l’avenue de Ségur. Un anniversaire que ne fêteront probablement pas les médecins libéraux. Au fil des mois et des dossiers, la ministre de la Santé a réussi à se mettre à dos une grande partie de la profession, avec la loi de santé comme point culminant des tensions. Marisol Touraine a été brocardée comme peut-être jamais aucun de ses prédécesseurs. L’opposition et la véhémence contre les réformes cachent-elles donc aussi un problème de personne ?
La lune de miel n’aura pas duré longtemps, si lune de miel il y a eu. Dès son arrivée avenue de Ségur, Marisol Touraine était attendue au tournant par les professionnels de santé sur le programme du président de la République. Au début de son mandat, la ministre semble d’ailleurs avoir pleinement conscience de l’importance de soigner ses relations avec les médecins. à l’université d’été de la CSMF en 2012 elle donne le ton : « Rien de durable ne se construit sur la défiance et en ce début de quinquennat, je sais que la qualité des relations que nous pourrons entretenir dépend beaucoup de la confiance que nous pourrons d’emblée nous accorder ». Un an plus tard, même si les différends politiques se sont installés, la ministre continue à séduire certains – au moins sur la forme – et notamment par comparaison avec Roselyne Bachelot. Qui ne se souvient, par exemple, des hommages croisés échangés avec Michel Chassang lors de l’Université d’été de la CSMF, le patron d’alors de la Conf’ s’exclamant : « Tout de même, la méthode est différente. Avec vous, Madame la ministre, le dialogue est possible, la concertation est la règle ».
[[asset:image:5586 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["Phanie"],"field_asset_image_description":[]}]]Premier gros dossier de l’ère Touraine, l’accord conventionnel sur les dépassements d’honoraires est signé presque sans encombre, les syndicats se montrant, dans l’ensemble, plutôt satisfaits du dénouement. « Les choses avaient bien commencé avec les dépassements d’honoraires mais dans les années qui ont suivi il y a eu un gel, sans aucune concertation, sans aucune écoute », analyse aujourd’hui Michel Chassang, l’ancien patron de la CSMF devenu président de l’UNAPL.
Loi de santé, le sujet qui fâche
Après une période de statu quo les sujets qui fâchent arrivent en même temps qu’est détaillée la Stratégie Nationale de Santé. Les médecins (généralistes notamment) en espèrent beaucoup. « Au début, il semblait y avoir un intérêt pour le virage ambulatoire, nous avions donc une attente forte », explique Claude Leicher. La déception n’en sera que plus grande. Alors que la loi de santé se précise, l’incompréhension, elle, grandit entre les généralistes et la ministre. La concertation ne semble plus être la « règle » : « Il n’y a pas eu de rupture de dialogue tout simplement parce qu’il y a eu une absence de concertation dans l’élaboration de la loi », souligne le président de la CSMF, Jean-Paul Ortiz. Échanges qui ne se font plus ou mal, parties qui campent sur leurs positions, les généralistes en particulier ont aussi l’impression d’être mal considérés par la ministre. « Nous n’avons pas eu son attention. Elle fait un tas de calculs pour les généralistes mais pas pour les autres. On a le sentiment que parce qu’on est des libéraux, les médecins généralistes sont maltraités », estime le président de MG France.
Le courant ne passe pas
Critiqué sur le fond pour sa loi de santé, Marisol Touraine semble cristalliser les critiques sur la forme. Décrite comme « une femme ferme sur ses convictions » par Jean-Paul Ortiz, le courant semble avoir parfois du mal à passer. « C’est une psychorigide qui n’écoute personne, technocrate et dogmatique », s’emporte Jean-Paul Hamon, le président de la FMF. Avec un peu de recul, Michèle Delaunay, qui a travaillé deux ans aux côtés de Marisol Touraine en tant que ministre déléguée aux Personnes âgées, fait davantage dans la nuance. Mais pas du tout dans la langue de bois : « Je pense qu’elle a les qualités de ses défauts. C’est une excellente professionnelle, gestionnaire, mais je trouvais qu’elle n’avait pas toujours l’empathie nécessaire vis-à-vis du corps médical. Peut-être que certains médecins attendent un contact plus direct, une présence, plus de familiarité ».
Alors qu’elle jouit d’une cote de popularité plutôt stable dans l’opinion publique depuis trois ans (45 % d’opinions favorables en avril 2015 selon le Baromètre Ifop/Sud Radio/Paris Match), elle est au plus bas chez les professionnels de santé. La locataire de l’avenue de Ségur pâtit d’une image un peu froide : « plus une façade qu’une réalité », assure Michel Chassang. Il n’empêche qu’au plus fort de la contestation contre le projet de loi elle devient une cible désignée.
Attaques personnelles
Pour ne rien arranger, en janvier, l’affaire de la fresque de Clermont-Ferrand représentant une agression sexuelle sur une wonderwoman fait couler beaucoup d’encre. En mars, la grande manifestation aidant, les attaques et surnoms contre Marisol Touraine se multiplient. Les réseaux sociaux (voir l'interview d'Antoine Dubuquoy) permettent notamment aux slogans de dépasser le cadre des pancartes de manifestation et de s’installer de manière plus durable.
Parmi les sobriquets dont est affublée la ministre, celui de « MST » fait le plus polémique. Point de ralliement de beaucoup des contempteurs de la ministre – jusque sur le PowerPoint d’un intervenant à un récent congrès d’allergologie ! –, il provoque l’indignation de la classe politique lorsqu’il est repris dans un tweet du député Arnaud Robinet lors de l’examen du projet de loi de santé en commission des Affaires sociales. C’est le tweet qui fait déborder le vase ? ; émue, Marisol Touraine prend la parole en plein milieux des débats pour condamner ces attaques : « Il y a des choses que je comprends mal, c’est le ton sur lequel certaines contestations sont portées (…) il y a des formulations, des slogans, des banderoles que l’on évite. Je ne vois pas ce que nos débats ont à gagner à des formulations qui sont d’une violence, je le dis, d’une violence qui me sidère ». Ne cachant pas sa « colère », Marisol Touraine réclame ce jour-là le respect auquel elle a droit « en tant que personne, que femme, que ministre ( …) parce que j’ai beau être décrite comme froide et glaciale et imperméable à tout ce qui se dit, tout ce qui s’écrit, je ne suis ni sourde, ni aveugle, ni imperméable… ».
Et, de fait, dans les rangs des médecins libéraux certains pensent que les choses sont allées trop loin. « Les attaques personnelles n’ont pas leur place dans le débat public, argue Michel Chassang, c’était déplacé de la part des médecins ». « Il y a eu des allusions machistes et sexistes faites par quelques médecins qui ont déshonoré la profession, ajoute Claude Leicher. Les attaques sur le physique, les attaques parce que c’est une femme c’est honteux. On ne s’occupe plus de la politique et cela a désorganisé la mobilisation ». Des dérapages imputés parfois à une culture professionnelle particulière : « Les mots peuvent être très durs et excessifs dans notre milieu, encore plus que dans le milieu politique », note Jean-Paul Ortiz.
Mais, malgré les prises de distance, la réaction de la ministre n’a pas été reçue par tout le monde de la même manière : « C’est une erreur de réagir aux caricatures. J’en aurais rigolé, mais c’est une question de tempérament. Mais je pense que ce n’est pas à un ministre de réagir à ce genre de blagues », analyse Michèle Delaunay, qui parle en politique et peut-être aussi un peu en médecin. « Quand on est femme politique, il faut s’attendre à prendre des coups. Elle nous méprise, elle nous attaque, alors, après, c’est un peu déplacé de parler de sa situation de femme et de femme politique. On est sensible à sa féminité, on ne voudrait pas trop la choquer », ironise Jean-Paul Hamon.
Sexisme ?
En effet, alors que Marisol Touraine a publié il y a dix jours une tribune sur le sexisme en politique à l’occasion des 70 ans du droit de vote des femmes, certains y voient une expression des attaques dont elle est victime. « C’est le mécanisme le plus classique du sexisme. Au moment même où elle revendique une fonction, en l’occurrence ministre, on la remet à sa place en disant tu es une femme, tu n’es qu’une femme. Ce qui n’arrive pas symétriquement pour les hommes », explique le sociologue Éric Fassin, professeur à Paris VIII.
Quant à l’excuse brandie par certains de l’humour carabin, elle s’inscrit dans les mêmes schémas pour le sociologue : « Quand on dit ça, ce n’est pas seulement un sexisme qui est inventé pour l’occasion, c’est un sexisme structurel. Parce que ramener à la sexualité, par exemple en disant "MST ”, c’est ramener à la personne et non plus à la fonction et c’est précisément le mécanisme du harcèlement sexuel », précise-t-il. Un sexisme qui peut s’incarner également dans les reproches qui sont faits à Marisol Touraine concernant ses traits de personnalité « psychorigide », « froide », etc. « à chaque fois qu’on parle de minoritaires - au sens de minorisés, mis dans une situation de dominés, on les ramène à leurs sentiments, à leurs désirs, à leurs corps, etc. C’est une manière de ne pas les laisser entrer dans des rôles sociaux qui pourraient être universels, c’est-à-dire être ministre, théoriquement, c’est n’importe qui. Cela revient à dire je n’oublie pas que… », souligne Éric Fassin.
Autre ministre, même traitement
Sexisme ou non, le portefeuille de la Santé est généralement un poste à risque et les prédécesseurs de Marisol Touraine ont souvent eu à subir les foudres des professionnels de santé. « Il y a une incompréhension chronique entre les médecins libéraux et les ministres de la Santé successifs. C’est vrai que le comportement des médecins peut être excessif mais ils ne sont pas respectés comme ils devraient par les politiques, alors qu’ils sont en général très respectés par la population », souligne Michel Chassang.
Malgré les apparences, on ne serait donc pas sur un problème de personne : « On se bat contre un projet de loi quel que soit le ministre », précise Jean-Paul Ortiz. « On ne cherche pas à personnaliser les choses car pendant qu’on se concentre là-dessus on ne voit plus les problèmes politiques », explique Claude Leicher. Une personnalisation du débat, qui pourrait d’ailleurs présenter le risque de la rendre seule responsable de tout ce qui se passe, idée contestée par certains : « Marisol Touraine n’est pas un électron libre, elle s’inscrit dans une couleur politique, dans un programme » rappelle Michel Chassang. « Elle paye aussi pour le contexte politique autour du gouvernement et pour un contexte économique très compliqué », ajoute-t-il.
Ce climat explique peut-être que, malgré le passif existant entre la ministre et les médecins libéraux et si Marisol Touraine devait rester encore deux ans, tout le monde semble encore prêt à travailler main dans la main avec la ministre pour faire avancer la cause des généralistes. Même les plus réticents comme Jean-Paul Hamon : « On n’a pas envie de perdre deux ans supplémentaires car le besoin de réformes est urgent ».