Au delà des grandes revues primaires ou peer reviews, la crise du Covid-19 a mis en avant un autre mode de publication des résultats scientifiques : les pré-prints ou prépublications, c’est-à-dire une diffusion des résultats scientifiques sans révision préalable par les pairs.
Une grande partie du monde médical et le grand public ont découvert ces prépublications avec le Covid-19, mais les pré-prints sont très anciens dans d’autres domaines, en particulier celui des sciences dures. En effet, les prépublications sont nées en 1991 dans le domaine de la physique et des mathématiques, de l’informatique et de l’ingénierie. Les sciences sociales ont suivi en 1994, et la biologie en 2013. Après une longue résistance, l’archive dédiée à la médecine medRxiv a été créée en juin 2019.
Entre juin et décembre 2019, 800 pré-prints ont été déposés sur cette plateforme. Mais c’est la crise du Covid-19 qui a fait exploser le phénomène, avec près de 35 000 contributions portant sur le Covid-19 en 2020, toutes plateformes confondues. Par comparaison, il y a eu près de 90 000 articles référencés sur PubMed, une partie des pré-prints étant d’ailleurs publiée ultérieurement par des revues scientifiques. En médecine, le pourcentage de transformation n’est pas connu, faute de recul, mais en biologie, il avoisinerait les 70 %.
Les sciences fondamentales déjà converties
Si le potentiel de diffusion des résultats est énorme, la spécialité médicale a longtemps résisté à la vague des pré-prints, pointant du doigt le risque de dérives dans un domaine sensible. Le JAMA et nombre de revues médicales ont lutté, se fendant à l’époque d’éditoriaux soulignant les risques propres à la discipline : d’une part les patients (et les médecins) pourraient prendre pour argent comptant des résultats non contrôlés par des relecteurs (pairs) experts (« reviewers ») et, d’autre part, des activistes (la mouvance antivax, par exemple) ou des chercheurs peu scrupuleux pourraient facilement publier de la désinformation sous forme de manuscrits servant leurs discours, sans aucun garde-fou.
Malgré ces réserves en médecine, la donne est en train de changer, observe le Dr Hervé Maisonneuve, même s’il n’est pas encore possible de prédire quel sera l’équilibre entre le système classique et les archives ouvertes. Dans le domaine des sciences dures, « en vingt ans, les chercheurs ont adopté ce modèle, au point qu’ils ont parfois abandonné les revues en faveur des pré-prints, et en biologie par exemple, l’extension des pré-prints a été jugée positive, avec l’avantage d’une divulgation plus rapide des résultats et le contournement des critères de sélection appliqués par les comités de lecture des revues. Ceci tout en étant conscient qu’un pré-print ne doit pas être considéré comme acquis ou influer sur des décisions cliniques. Un avertissement est mis sur les archives ouvertes mais il est souvent ignoré, en particulier par les journalistes. »
Une troisième voie possible ?
Par ailleurs, entre revues à comité de lecture et archives ouvertes de pré-prints, une troisième voie est en train d’émerger. Des chercheurs ont proposé des modèles d’évaluation des manuscrits, shuntant les revues primaires, selon une méthode « publié puis évaluée » et non plus « évalué puis publié ». Il existe des initiatives nombreuses sur ce modèle, comme celle créée pendant la pandémie par le MIT (Massachusetts Institute of Technology). C’est un modèle où des universitaires sélectionnent eux-mêmes certains pré-prints, les relisent et publient leur avis. Pour sa part, le modèle F1000Research consiste à déposer des pré-prints qui seront évalués par une communauté de relecteurs et éventuellement modifiés par les auteurs. Un autre modèle est celui de eLife, créé à l’initiative du Howard Hughes Medical Institute, de la Société Max-Planck et du Wellcome Trust, à la fin de 2012. « Cette revue scientifique en libre accès et de grande qualité publie des articles de recherche dans les domaines de la biologie et de la médecine », explique le Dr Maisonneuve. Elle prend en considération des pré-prints, les évalue et les publie.
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