LE QUOTIDIEN : Quelles sont les conséquences de la crise sanitaire liée au Covid sur les enfants ?
Pr RICHARD DELORME : Il y a eu durant la crise une sorte de sacrifice de l’enfance, qui a été peu prise en compte. On manque d'un lobbying de l'enfance. Les petits ont été largement entravés dans leurs libertés individuelles, forcés à l’isolement, avec les écoles fermées, alors que les moins de dix ans sont peu contaminants et rarement malades. En France, les études sur la santé mentale des enfants ont tardé, alors qu'en Grande-Bretagne, des enquêtes ont été lancées dès le début de la crise. Le constat : un tiers des enfants étaient très anxieux, avaient peur de mourir du Covid ou de la disparition d'un proche et 20 % d'entre eux craignaient que leurs parents ne perdent leur emploi.
À notre échelle, nous avons constaté lors du confinement un repli massif des consultations. Comment allaient les enfants ? Ils pouvaient dormir moins bien, moins manger, être plus irritables ou agressifs et plus opposants. Les familles étaient démunies : le site pedopsydebre.org que nous avons alors lancé pour diffuser des fiches pratiques et des publications scientifiques, a recensé 600 000 connexions pendant le confinement. Les enfants étaient aussi confrontés aux violences intrafamiliales, sur lesquelles pèse une véritable omerta.
Quant aux enfants déjà suivis, leur vécu du confinement dépend des troubles. Certains autistes ont pu aller mieux car moins confrontés aux situations sociales. D'autres familles, dont les enfants sont sujets à l'automutilation ou ont besoin de beaucoup déambuler, ont vécu un calvaire.
Observez-vous depuis le déconfinement davantage de demandes de consultation ? De la part d'anciens ou de nouveaux patients ?
Nous observons en effet un regain des demandes de consultations en urgence. Il s'agit de patients déjà suivis, pour lesquels nous devons rattraper notre retard, mais aussi de nouveaux patients qui ont des troubles de l'adaptation plus ou moins sévères. Malgré le déconfinement, on observe un maintien d'un niveau d’anxiété assez massif. On a des symptômes anxieux, de la dysphorie et de l'irritabilité chez des enfants qui n'avaient jamais eu de problèmes auparavant. Ce phénomène semble accentué chez ceux dont les parents étaient en première ligne pendant le confinement.
On dit souvent la pédopsychiatrie sinistrée. Mi-juillet, vous alertiez dans « Le Monde » sur la situation des urgences…
La demande sociétale à l'égard de la psychiatrie évolue : davantage de personnes recourent à la santé mentale, car le tissu social se délite. Les familles veulent avoir des avis plus rapidement.
Nous devons nous adapter et nous mettre à la disposition des populations. Il y a bien sûr un problème de moyens mais aussi d'organisation et d'attribution des ressources. Il faut notamment pouvoir accueillir les enfants en urgence, en pédopsychiatrie. Or, à Paris, il n'existe pas d'urgences pédopsychiatriques, avec des lits et des psychiatres 24 heures sur 24.
Plus largement, il faut pouvoir répondre à une demande de suivi très ambulatoire. Les familles ne peuvent attendre 6 à 12 mois pour obtenir un premier rendez-vous. Mais aujourd'hui, les moyens sont surtout orientés vers les soins lourds ou les hospitalisations de jour.
À Robert Debré, nous avons mis en place une consultation d'orientation pédopsychiatrique sans rendez-vous pour répondre aux situations de crise. Nous recevons 3 500 patients par an. Il ne s'agit pas toujours d'urgences graves. Pour les petites demandes, nous orientons les patients vers les pédiatres et les généralistes, voire les services de pédiatrie, qui font un travail formidable pour assurer la continuité de soins. L'ARS Ile-de-France a lancé un appel d'offres sur les situations de crise, qui devrait permettre l'ouverture de dispositifs semblables.
Il y a une volonté gouvernementale et ministérielle pour essayer de débloquer la situation. Mais il faut aussi une volonté du corps médical pour faire autrement et un changement sociétal face à la maladie psychique. Avoir un enfant malade est encore une double peine pour les parents, compte tenu du regard qu'on porte sur eux.
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