« La maltraitance des enfants est un problème sociétal majeur », a déclaré la Pr Dominique Le Guludec. Alors que l'affaire « Duhamel » a mis un coup de projecteur sur ces sujets, la Haute Autorité de santé (HAS) publie ce 20 janvier le premier cadre national de référence pour évaluer la situation des enfants en danger ou risque de danger.
Destiné en priorité aux professionnels des Cellules de recueil et de traitement des informations préoccupantes (Crip) et aux équipes pluridisciplinaires d'évaluation - dont font partie des médecins -, ce cadre de référence doit permettre d'améliorer la qualité du traitement des informations préoccupantes (IP) et d'harmoniser les pratiques sur le territoire. « Aujourd'hui, le traitement des IP n'est ni optimal, ni homogène : il n'y a pas de chiffres nationaux ni de comparaison possible entre les départements. Or ces IP sont d'une importance majeure », souligne Dominique Le Guludec, en rappelant qu'en 2018, plus de 50 000 enfants ont été victimes de violences, mauvais traitements et abandons, et que 27 000 plaintes pour violences sexuelles ont été enregistrées. « Le Covid-19 n'a pas amélioré les choses : les appels au 119 Enfance en danger ont augmenté de 56 % pendant le premier confinement, qui a aussi donné lieu à une hausse de 30 % d'IP transmises. »
Penser l'IP comme une démarche de soin
Concrètement, ce cadre de référence se décline en trois livrets et propose huit boîtes à outils. Issu d'un travail collectif, il reprend les lois sur la protection de l'enfance de 2007 et de 2016, et s'inspire des travaux scientifiques sur la question.
« Nous devons d'abord tous nous approprier le sens d'une IP : c'est une alerte au sujet d'un enfant dont on craint que sa santé ou son développement ne soient menacés », rappelle la magistrate Anne Caron-Déglise, membre de la commission sociale et médico-sociale de la HAS.
« Ces IP ne sont pas simples à faire et les professionnels doivent être aidés, les Crip sont là en soutien », assure la Dr Gaëlle Pendezec, médecin référent protection de l'enfance au conseil départemental de Loire-Atlantique. Les médecins sont parmi les professionnels qui peuvent en rédiger, mais les réticences sont encore grandes, par crainte d'une judiciarisation, d'une rupture du lien avec la famille concernée, par méconnaissance des procédures ou méfiance à l'égard de l'autorité judiciaire… « Nous ne sommes pas formés à rédiger une IP. Et il ne faut pas sous-estimer la difficulté d'être confronté à la violence. Les médecins ne doivent pas rester seuls avec cela. Ils doivent être encouragés, et il peut leur être utile de penser l'IP comme une démarche de soin, d'aide », conseille la Dr Pendezec. « Très peu de familles cessent de voir un médecin qui aurait formulé une IP à leur sujet », rassure-t-elle.
Ces réticences ne sont pas une fatalité. En Loire-Atlantique, près de 20 % des IP proviennent du milieu médical et paramédical, en hausse de 15 % depuis cinq ans, grâce à une collaboration forte entre acteurs de la protection de l'enfance, témoigne la Dr Pendezec. Et de rappeler qu'un médecin ne peut être poursuivi par la justice s'il a émis une IP « de bonne foi » ; en revanche, « il peut l'être s'il a vu et n'a rien fait ».
Des médecins clés dans l'évaluation de terrain
Le document de la HAS donne ensuite les bonnes pratiques pour le traitement d'une IP, au cours duquel les médecins peuvent aussi avoir un rôle clé.
Une fois une IP soumise à une Crip, celle-ci doit être analysée par une équipe - et la HAS suggère une grille d'analyse. En cas de danger imminent, la cellule doit faire un signalement au parquet « doublé d'un échange téléphonique. Cela suppose de bien se connaître en amont pour se parler dans les situations urgentes, celles du vendredi après-midi par exemple », insiste la Dr Pendezec. Une hospitalisation peut ainsi être organisée pour protéger le mineur.
Si l'imminence du danger est écartée, l'IP doit être transmise à l'équipe d'évaluation de terrain, qui se penche sur toutes les dimensions de la vie de l'enfant et sur les compétences des parents à répondre à ses besoins. Un binôme travailleur social et professionnel de santé (infirmier, médecin, puéricultrice) doit rencontrer la famille. « Il faut que l'enfant puisse bénéficier d'une consultation médicale pour un bilan de santé : l'on peut demander aux parents de contacter leur médecin traitant, ou bien l'on peut se tourner vers l'équipe de PMI, ou dans les cas extrêmes, les urgences pédiatriques ou les unités d'accueil médicojudiciaires », recommande la Dr Pendezec.
La HAS insiste sur la pluralité des regards pour construire l'évaluation, et sortir de l'isolement, lorsque les situations sont particulièrement complexes.
Reste désormais à traduire ces recommandations en pratique. Elles feront l'objet d'un webinaire au printemps, et devraient être reprises dans le plan interministériel de lutte contre les violences faites aux enfants, piloté par Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance à l'origine de la saisine de la HAS.
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