Violences contre les médecins

Une explosion de menaces et d’injures

Publié le 16/12/2011
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Crédit photo : S. TOUBON/LE QUOTIDIEN

LE 24 NOVEMBRE 2010, la mort du Dr Guy Perrot à 69 ans provoque l’émotion à Lyon. Le généraliste, connu pour soigner des marginaux, décède dans son cabinet d’une crise cardiaque due à une situation de stress alors qu’il était victime d’un vol. De l’argent et son ordonnancier ont disparu. Le président de la Confédération des syndicats médicaux français ( CSMF), Michel Chassang, écrit alors au ministre de l’Intérieur en exercice, Brice Hortefeux, et à Xavier Bertrand, ministre de la Santé, pour demander des mesures concrètes sur un « sujet préoccupant ». « La CSMF souhaite que le dossier de la sécurité d’une profession très exposée et de plus en plus féminine soit traité et débouche rapidement sur la mise en place de réponses efficaces. »

Série noire.

Plutôt que d’entraîner un branle-bas de combat sécuritaire, le meurtre du généraliste lyonnais inaugure une série noire d’agressions. Le 18 février, le Dr Claudine Dubuisson, gynécologue dans une centrale clinique de Soyaux (Charente), reçoit 5 violents coups de couteau de la part d’une ancienne patiente. Celle-ci accuse le médecin, pourtant blanchie par plusieurs expertises, d’être responsable du handicap de son enfant d’une vingtaine d’années. Quatre jours plus tard, c’est une autre gynécologue, installée depuis 30 ans à Pierrefitte (Seine-Saint-Denis), le Dr Michèle Alia, qui est agressée dans son cabinet par un jeune homme qui tente de lui voler son sac à main. Elle dévissera sa plaque quelques mois plus tard. Ce même 22 février, le Pr Jean-Charles Delchier, chef du service d’hépato-gastro-entérologie de l’hôpital Henri-Mondor (AP-HP) se voit labourer le crâne dans son bureau par une femme, inconnue dans les fichiers, déguisée en infirmière, qui lui crie : « Tu as tué mon père. ».

Si des agressions d’une telle ampleur sont rares, vols, reproches relatifs à une prise en charge et incivilités en tout genre deviennent monnaie courante dans le quotidien des professionnels de santé. « Les usagers sont très impatients, il n’est pas rare que, depuis leur chambre, où ils ont déjà appelé l’infirmière, ils nous interpellent lorsque nous passons dans les couloirs pour se plaindre de 5 minutes de retard », témoignait auprès du « Quotidien » en mars le collègue du Pr Delchier, le chef de clinique Jean-David Zeitoun. « Nous sommes appelés 2 à 3 fois par jour, surtout aux urgences, pour des problèmes d’incivilité, des familles qui souhaitent à tout prix des informations, des malades psychiques et des drogués qui sèment le trouble », racontait également Patrick Rocheteau, chargé de la sécurité des personnes et des biens à Henri-Mondor.

Si la sécurisation des hôpitaux, lieux ouverts sur la cité par vocation, est délicate et peu revendiquée par le personnel, en ville, un tel climat provoque le départ les professionnels de santé. Ou leur non-remplacement. « Depuis février, nous avons perdu la gynécologue, l’ophtalmologue, dont le cabinet n’a pas été repris, la psychologue, l’unique pédiatre qui a dévissé sa plaque après 3 agressions et l’orthophoniste. 2 pharmacies ferment après une première vague de 3 cet été : personne ne veut reprendre les commerces », énumère le Dr Joselyne Rousseau, généraliste et présidente de l’Association des professionnels de santé de Pierrefitte. Elle-même a subi 18 agressions, dont 2 à mains armées. « Mon cabinet est désormais un blockhaus, ce qui ne m’a pourtant pas évité d’être cambriolée cet été. Mais je me fais aussi agresser à l’extérieur. »

Les inquiétudes sont semblables à Stains, où 2 généralistes partent à la retraite sans remplaçant. « Mon associé a plus de 70 ans, s’il part, je suis seul », témoigne le Dr François Rousset, généraliste installé depuis 1981. Sa secrétaire a été agressée au printemps. « Depuis, nous avons des caméras, avec autorisation de la préfecture d’enregistrer les bandes et la porte d’entrée est sécurisée ». Mais cela n’a pas suffi à dissuader un homme de s’en prendre à la secrétaire remplaçante qui arrivait au cabinet en vélo un matin d’été.

Un protocole ou le départ.

L’insécurité n’est pas l’apanage des banlieues. L’explosion des actes de violence, d’une ampleur inédite en 2010 avec 920 déclarations d’incidents contre 512 l’année précédente, concerne tout le territoire, comme le montrent les chiffres de l’Observatoire du Conseil national de l’Ordre des médecins. Les menaces verbales ou injures sont ainsi passées de 43 % en 2006 à 63 % cette année, alors que les agressions physiques se stabilisent autour des 13 %. Les généralistes sont les plus exposés (à 62 % ), mais ophtalmologues, médecins du travail et psychiatres ne sont pas épargnés. L’installation libérale est la plus à risque, surtout en centre-ville (concerné dans la moitié des agressions) ou en banlieue (31 %), mais les établissements, en particulier les urgences, sont de plus en plus touchés. « L’évolution est très homogène, presqu’aucune collectivité n’est épargnée par cette tendance », souligne le Dr Bernard Le Douarin, coordonnateur de l’Observatoire.

Les ministères de la Santé, de l’Intérieur et de la Justice, ont signé en avril deux protocoles avec les syndicats puis les 7 Ordres des professionnels de santé. Cette boîte à outils devrait se décliner dans les régions : des référents Sécurité au sein des commissariats ainsi que des numéros de téléphone seront dédiés aux acteurs de terrain, la police pourra effectuer des diagnostics de sûreté, les médecins en intervention pourront être géolocalisés et des guides sur les bonnes pratiques seront distribués.

Mais le dispositif peine à être mis en place dans certains territoires. « Cela fait deux ans qu’on nous promet un numéro à 4 chiffres utilisable en cas d’agression, comme pour les agents de la RATP, et des bips sécurisés pour nos visites, nous n’avons toujours rien », vitupère Joselyne Rousseau. Des réunions bimestrielles étaient prévues entre les associations des professionnels de santé de Stains et Pierrefitte et le préfet de Seine-Saint-Denis Christian Lambert. « On ne l’a pas vu depuis juillet ! », dénonce-t-elle. « Je continue à faire des visites dans les cités, mais il nous faut des gestes concrets rapidement pour maintenir le tissu des professionnels de santé de proximité », estime François Rousset.

 COLINE GARRÉ

Source : Le Quotidien du Médecin: 9060