Un retour d’expérience et une confession

Le Dr Éric Kariger prend la plume pour dire sa vérité sur l’affaire Lambert

Publié le 12/01/2015
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C’est comme simple citoyen que le Dr Éric Kariger a suivi l’audience de la Cour européenne des droits de l’homme sur l’affaire Vincent Lambert, mercredi 7 janvier. C’est aussi depuis son nouveau poste de directeur médical d’un groupe de maisons de retraite qu’il écoutera l’arrêt que la Cour rendra dans un ou deux mois.

L’ancien chef du service des soins palliatifs du CHU de Reims, où le jeune infirmier psychiatrique a été accueilli après un accident de la route en 2009, ne sera pas au chevet de son ancien patient. Il a quitté le CHU en septembre. Mais en publiant le 8 janvier « ma vérité sur l’Affaire Vincent Lambert », sa voix résonne encore.

Une médecine de l’équilibre

L’ouvrage est irrigué par une exigence éthique. Le médecin (aux allures dixseptiémistes d’"honnête homme") veut servir une médecine qui tient à distance l’euthanasie comme l’obstination déraisonnable, et rejette dos à dos les logiques « coût efficacité » (arrêter trop tôt les soins) et « prolife » (la vie coûte que coûte). La demande sociale en faveur de l’euthanasie, qui se fait pressante, est selon lui l’expression de la peur de l’acharnement thérapeutique. « Face aux médecins qui s’acharneront et ne voudront pas laisser partir leurs patients, ceux-ci seront tentés de revendiquer toujours plus d’autonomie, allant jusqu’à l’excès : le droit à l’euthanasie ou au suicide assisté », écrit-il. Le Dr Kariger clame haut et fort ses valeurs : « Lutter contre l’obstination déraisonnable, c’est finalement le meilleur garde-fou pour la sauvegarde des trois piliers fondamentaux qui doivent guider tous nos actes : l’interdit de tuer, le droit à la vie et le droit du patient à l’autonomie. »

Une lecture de la loi Leonetti

Le Dr Éric Kariger revient donc à la lumière de ces principes sur l’affaire Vincent Lambert. Scientifique rigoureux, il retrace la chronologie des faits. Elle se révèle essentielle pour comprendre son rôle : chef d’un pôle de soins de suite de 210 lits jusqu’en 2011, il ne prend pas lui-même en charge Vincent Lambert pendant les trois premières années de son séjour au CHU de Reims. Mais il est responsable de son équipe.

La chronologie permet aussi de comprendre son cheminement intellectuel et de percevoir en filigrane celui de Rachel Lambert, au sujet de la fin de vie de Vincent. Si aujourd’hui ils considèrent qu’il y a obstination déraisonnable des soins, cela n’a pas toujours été le cas. « Nous avons cassé toutes les tirelires pour mener des investigations, assurer les thérapeutiques rééducatives et réhabilitatives de Vincent », raconte le médecin.

Le Dr Kariger livre aussi sa lecture et son application de loi Leonetti. « J’ai écrit ce livre comme un retour d’expérience. On a droit à l’erreur, mais pas à la récidive », explique-t-il au « Quotidien ». Il se montre fier des investigations réalisées par son équipe pour connaître les souhaits du patient et définir un diagnostic et un pronostic. « J’ai la certitude qu’il n’aurait pas voulu vivre dans cet état. (...) J’ai la quasi certitude que ses rares manifestations ne sont pas intentionnelles. Ce ne sont pas des réponses à une stimulation mais des mouvements d’ordre neurologiques, réflexes, végétatifs. Ils ne sont pas conscients. En revanche, je n’ai pas de doute sur la souffrance qu’éprouve son corps et dont il n’a pas conscience », conclut-il.

Il reconnaît des manquements, notamment au printemps 2013, lorsque Vincent Lambert est débranché, sans que les parents aient été prévenus, et encore : uniquement la nutrition. Le patient reste hydraté. « C’était une erreur. À l’époque, nous ne savions pas faire ».

Enfin, ce livre se lit comme une confession, où le Dr Kariger revient sur sa vocation et son parcours de gériatre, ponctué par des rencontres décisives avec des patients qui l’ont fait évoluer. Vincent Lambert fut l’un d’eux.

Ma vérité sur l’affaire Vincent Lambert, éditions Bayard, 160 pages, 17 euros.

Coline Garré

Source : Le Quotidien du Médecin: 9377
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