Vincent Lambert : le recours devant l’Europe est celui de trop pour les médecins

Publié le 25/06/2014
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« Si le recours de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) devait être suspensif, cela nous conduirait à nous rendre coupable d’obstination déraisonnable. Ce serait le recours de trop, le délai de trop pour Vincent Lambert et pour les équipes », avait réagi le Dr Éric Kariger mardi 24 juin, peu après que le Conseil d’État a statué en faveur de la légalité de sa décision médicale.

La CEDH a depuis décidé, en vertu de l’article 39, de suspendre la décision d’arrêter l’alimentation et l’hydratation artificielle (AHA) et d’interdire le déplacement de Vincent Lambert, le temps (entre 3 à 6 mois) d’examiner la recevabilité et le bien-fondé de la requête. Plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer la poursuite du feuilleton judiciaire.

Le neveu du patient, François Lambert, qui avait laissé couler quelques larmes de soulagement lors de l’énoncé public du jugement du Conseil d’État, a dénoncé « un acharnement de plus pour un corps qui n’en peut plus ».

Acharnement judiciaire

Jean Leonetti, père de la loi de 2005 contre l’obstination déraisonnable, a aussi évoqué le « recours de trop ». « Aller devant la CEDH est le droit de chacun. Je ne vais pas le fustiger. Je pense à l’équipe médicale, je pense aussi à la femme (...), je pense à toute cette famille qui continuera à se déchirer. On peut parler d’acharnement judiciaire. La loi a légiféré sur l’acharnement déraisonnable. Est-ce qu’on n’est pas arrivé dans le cas de Vincent Lambert de manière tout à fait légale dans quelque chose qui est tout à fait déraisonnable ? », a commenté le député.

Les magistrats du Conseil d’État restaient placides à l’idée d’une saisie de la CEDH, hier : « Nous sommes très habitués en tant que juges nationaux à voir nos décisions commentées par l’Europe. Nous connaissons bien l’article 39 qui permet la suspension d’une décision qui porterait atteinte aux droits fondamentaux : il est souvent invoqué dans les mesures d’éloignement des étrangers », a expliqué Bernard Stirn, président de la section du contentieux. « Cette décision est la plus difficile de celles qui ont pu être rendues par le Conseil d’État ces 50 dernières années », précisait peu avant le vice-président du Conseil d’État Jean-Marc Sauvé.

« La CEDH ne dispose d’aucune jurisprudence solide sur le sujet. C’est donc, encore une fois, la conscience morale des membres de cette Cour qui sera appelée à statuer », a déclaré Michèle Delaunay, faisant valoir que le cas « Vincent Lambert » ne relèvera jamais de la loi ni de son application.

L’Ordre et des associations saluaient la décision du Conseil d’État

Sans commenter directement la décision de la plus haute juridiction française, le Conseil national de l’Ordre des médecins a tenu à rassembler ses observations sur la Loi Leonetti. « Il y a obstination déraisonnable dès lors qu’un patient est dans une situation de maintien artificiel sans vie relationnelle et sans espoir d’évolution favorable. Ce sont ces critères qui peuvent justifier d’engager la procédure collégiale, pour statuer sur un éventuel arrêt des traitements. » Tout arrêt des traitements doit s’accompagner simultanément d’une sédation profonde, rappelle-t-il.

La société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) voit dans la décision du Conseil d’État la réaffirmation de trois principes fondamentaux de la Loi Leonetti : refuser l’acharnement thérapeutique, placer la personne au centre des décisions qui la concernent, le soulager et accompagner ses proches. La SFAP rappelle que l’arrêt de l’AHA n’est pas un acte d’euthanasie, mais la marque du refus d’une obstination déraisonnable. « Il faut redire que les patients, grâce aux mesures mises en place par les médecins et les infirmières, ne ressentent pas la sensation de faim ni de soif », insiste la société, qui, moyennant certains aménagements (des directives anticipées plus contraignantes), milite pour le maintien de la loi Leonetti.

À front renversé, l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) voit dans l’histoire de Vincent Lambert l’échec de la loi Leonetti. « Devant ses imprécisions, plus personne ne prend de décision et les familles se déchirent », dénonce-t-elle, en appelant à une nouvelle loi qui fasse rupture.

Coline Garré

Source : lequotidiendumedecin.fr
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