Dérouler le fil avec les victimes

Comment aborder la question des violences conjugales ?

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Publié le 22/09/2020
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Qu'ils soient auteurs (plus rarement victimes) de violences conjugales, les hommes sont peu enclins à en parler. Pour les dépister, le généraliste va devoir s'appuyer sur les victimes.
Il faut pouvoir s'appuyer sur les victimes

Il faut pouvoir s'appuyer sur les victimes
Crédit photo : Phanie

Comme l'explique le Dr Roland Coutanceau, psychiatre et criminologue expert auprès des tribunaux et auteur de nombreux ouvrages aux éditions Dunod, dont « Violences conjugales et famille », c'est par le biais du dépistage précoce que le généraliste est le plus utile.

« Mais inutile de se leurrer, des hommes qui consultent spontanément en vous disant, docteur, je suis violent, je n'en ai quasi jamais rencontré dans ma carrière !, explique le médecin également à l'origine de la création d'un pôle de victimologie et de thérapie familiale en région parisienne et président de la Ligue française de santé mentale. C'est pourquoi le seul moyen d'agir précocement est de décoder la plainte de la victime et d'oser aborder le sujet avec elle ».

Décoder pour démasquer

Les circonstances dans lesquelles le généraliste peut être amené à suspecter un cas de violence conjugale, sont parfois simples : si une victime consulte pour des hématomes qu'elle attribue à une chute, alors que cela ne colle pas avec la symptomatologie. Mais parfois, ce qui pourrait alerter le généraliste est plus subtil comme « un comportement d'évitement quand on parle du conjoint chez une personne anxiodépressive », donne pour exemple le Dr Coutanceau. Au moindre doute, mieux vaut poser la question - « Est-ce que quelqu'un vous a frappé ? » - plutôt que d'attendre que la victime en parle d'elle-même. « Si elle a pris le risque de vous consulter plutôt que d'acheter un remède en pharmacie, c'est parce qu'elle veut que vous deviniez ce qu'il se passe. Mais si vous ne posez pas la question, le plus souvent, elle n'en dit mot ».

Faire alliance avec un tiers

À l'exception des hommes violents pervers narcissiques, paranoïaques ou mégalomaniaques que rien n'arrête, il a été démontré que la violence était plus limitée lorsqu'elle devenait connue d'une personne de l'entourage de l'auteur des faits, que ce soit par une prise de conscience ou par peur de la sanction. C'est pourquoi il est important de rencontrer l'homme violent et de lui faire comprendre que vous savez : « le simple fait de savoir qu'un tiers est au courant et donc qu'il est démasqué, a un effet préventif ». C'est même le premier facteur inhibiteur.

Mais alors, comment faire avouer le conjoint violent pour le faire sortir de son déni ? « Pour certains généralistes qui connaissent bien ledit conjoint, cela peut passer par une explication franche, explique-t-il. Mais pour ceux qui ne se sentent pas à l'aise avec cette méthode, il est possible d'aborder la question de façon détournée, en disant par exemple, que vous le trouvez tendu en ce moment et que lorsqu'il y a trop de tensions, certains en arrivent parfois aux mains, avant de lui demander si cela lui est déjà arrivé ».

Pousser la victime à faire alliance avec un tiers à qui elle va oser se confier et qui va prendre le relais pour en parler au conjoint violent, peut aussi être l'électrochoc, qui fait que le conjoint violent accepte enfin l'aide du médecin. Il est alors possible de l'orienter vers une consultation de prise en charge dédiée aux hommes violents. « Ces consultations s'intéressent aux problèmes d'addiction qui jouent un rôle dans le passage à l'acte », insiste le Dr Coutanceau. Finalement, il n'existe qu'un faible pourcentage d'irréductibles (de l'ordre de 5 %) qui ne se remettent jamais en question et chez qui il va falloir passer par une éventuelle levée du secret médical (si la victime est sous emprise) et/ou une injonction du procureur avec des mesures d'éloignement.

Dr Nathalie Szapiro

Source : Le Quotidien du médecin