Dans la suite de la lettre de notre confrère le Docteur Bernard Coadou concernant l'ignoble affaire Le Scouarnec ( (« Le Quotidien du Médecin » du 4 décembre « Procès Le Scouarnec, quelles co-responsabilités ? »), je m'interroge à mon tour, à la lecture dans la presse, des multiples scandales concernant des praticiens au comportement déviant, ou des praticiens incompétents, ou encore des faux praticiens, si notre Ordre remplit ses missions et s'il s'en donne les moyens ?
L'Ordre contrôle-t-il réellement, efficacement les diplômes ? Chaque année ou presque on découvre de faux médecins. L'aide-soignante qui a exercé plusieurs mois comme médecin à Montceau-Les-Mines, n'avait pu être employée comme infirmière, le contrôle du diplôme à ce niveau avait été efficace, sérieux. Une procédure judiciaire avait été mise en route pour faux. Par contre, exercer la médecine sans diplôme, a été pour elle beaucoup simple. L'Ordre aurait pu interroger cette grande délinquante, qui avait dépassé l'âge classique de l'obtention du diplôme, sur ces fonctions antérieures : où avait-elle été interne ? Quelques coups de téléphone, une recherche sur internet aurait pu la confondre.
Il y a une dizaine d'années une chirurgienne alcoolique, belge, comme l'anesthésiste d'Orthez récemment condamné à 3 ans de prison pour être responsable de la mort d'une parturiente, tuait une malade à Belley. En tapant son nom sur internet, « La Libre Belgique » nous informait de tout son passé judiciaire, de ses condamnations multiples, de son addiction à l'origine du vol des patients, de son interdiction d'exercer la médecine. L'Ordre avait-il fait une quelconque recherche, avait-il alerté, mis en garde l'hôpital qui allait l'embaucher pour remplir le tableau de gardes ?
Faux certificats et antivax
Le manque cruel de médecins dans notre pays fait que l'autorisation d'exercer, sans surveillance aucune, est donnée sans restriction à des personnes ayant déjà un lourd passé pathologique, une dangerosité connue, établie. Combien y a-t-il en France de faux médecins avec de faux diplômes étrangers ou comme dans le cas de Montceau-Les-Mines de faux diplômes français ?
Membre de la CCI Rhône-Alpes, je suis confronté parfois à des dossiers pour lesquels le praticien en cause a commis une faute patente, soit il a commis un acte médical injustifié, soit il est totalement incompétent, soit il est négligent, irresponsable, à l'origine de préjudices conséquents sévères pour son patient, justifiant une sanction disciplinaire. L'Ordre ne devrait-il pas être observateur en CCI, car cette dernière ne signale à l'Ordre que les faits très graves, quand elle en prend le temps ? Si les victimes n'ont pas déposé plainte devant l'instance disciplinaire, les médecins ou chirurgiens dangereux continuent d'exercer. Lorsqu'ils sont démasqués connus dans leur lieu d'exercice, ils déménagent, et continuent en d'autres lieux leurs pratiques dangereuses ou leur comportement déviant.
Les rédacteurs de faux certificats sont, non seulement bien connus de ceux qui les sollicitent, mais aussi d'un très grand nombre de confrères. Les anti-vaccins n'ont pas peur de clamer leurs méfaits devant les journalistes.
Mon expérience de représentant des usagers dans diverses structures et Commissions des Usagers m'a montré le peu de crédit accordé par les victimes ou pseudo victimes d'actes médicaux vis-à-vis de notre instance disciplinaire. La réputation de notre Ordre n'est pas bonne. Si les patients peuvent apparaître aujourd'hui de plus en plus procéduriers, revendicatifs, s'ils saisissent facilement la CCI, la justice ou portent plainte face à un échec thérapeutique, une évolution péjorative de la maladie ou un accident médical non fautif, ils se dirigent peu vers l'Ordre par manque de confiance. Ce dernier, s'il était crédible à leurs yeux, aurait pu leur donner un premier éclairage, apaiser leurs inquiétudes.
J'ai rencontré en CCI un directeur d'hôpital qui emploie un praticien hospitalier atteint de troubles psychiatriques mais ne trouve aucune aide pour mettre fin à l'activité de ce médecin titulaire.
Comment un chirurgien dans une affaire judiciaire en cours à Grenoble peut-il collectionner 76 plaintes ? Les médecins contrôleurs de la sécurité sociale, les assureurs sont des observateurs avertis. Ne devraient-ils pas communiquer avec l'Ordre, lui soumettre plus souvent leurs inquiétudes ?
Il ne s'agit pas d'organiser un système policier, une surveillance jalouse, malveillante des confrères, mais le laxisme actuel, la protection des médecins coupables, l'omerta concernant les comportements déviants sont intolérables, scandaleux. Les affaires sont malheureusement multiples ; il s'agit, comme l'a écrit notre confrère, d'une faillite systémique, ancienne. L'Ordre doit se donner les moyens de remplir ses missions, il doit entreprendre une grande réflexion à ce sujet, sortir du corporatisme. Nous lui donnons des moyens financiers conséquents, à lui de savoir les utiliser à bon escient.
Trop de passivité
L'Ordre ne peut intervenir sans plainte, il ne peut s'auto-saisir. Sans morts, sans viols, sans victimes de préjudices gravissimes l'Ordre reste totalement passif. Certains praticiens pourraient en amont être convoqués, interrogés, mis sous surveillance, puis interdits d'exercice avant la multiplication d'actes graves. L'Ordre ne peut s'affranchir de ses responsabilités. Je ne nie pas que cette mission de contrôle est difficile.
Il apparaît que seule la déontologie, les conflits de confraternité préoccupent notre Ordre qui, là, agit rapidement. Les compétences de l'Ordre ne peuvent se limiter à cette unique mission. D'ailleurs, l'interrogatoire du faux médecin, lors de son inscription au tableau, entretien réalisé et relaté par le président de l'Ordre local devant les caméras de télévision, n'a porté que sur la seule déontologie, la confraternité !
Cette période inquiétante de pandémie a donné lieu, il est vrai, à des conflits d'ego d'universitaires, à des déclarations calomnieuses de médecins qui semblent n'avoir plus toute leur raison. Ces conflits bruyants de confraternité qui font perdre confiance dans la communauté médicale peuvent cacher chez certains acteurs des troubles psychiatriques. La communauté médicale ne peut être parfaite, elle est à l'image de la société, mais nos responsabilités exigent un contrôle, une interdiction précoce d'exercer des personnes dangereuses, délinquantes ou perverses.
Les médecins sont le plus souvent seuls aptes à observer les malversations, les pratiques dangereuses des confrères, mais la dénonciation est honteuse et fait peur : s'ils font un signalement, il y a automatiquement plainte pour non confraternité et s'ensuit une condamnation de celui qui a alerté, mais le fond du problème reste, lui, obstinément ignoré.
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