Elle est encore toute bleue, mais ça va mieux, rassure le Dr Salim Benchouieb. En détresse respiratoire, en surpoids, âgée, cette résidente d'EHPAD tente de reprendre son souffle à travers le masque à oxygène que le médecin urgentiste de Tonnerre (Yonne) lui repositionne sur le visage.
Il est 22 heures, ce jeudi de mai. Dans quelques heures, la patiente quittera le box de déchocage pour un des quatre lits de l'unité de soins continus (USC) attenante aux urgences, au bout du couloir. Il y a douze ans, avant la fermeture de la chirurgie, les portes saumon et les murs crème de ce secteur voyaient défiler les patients de réa. C'est terminé, tout comme la maternité.
La patiente toute bleue, aujourd'hui intransférable, restera donc en USC deux ou trois jours, avant de « monter en médecine ». « À partir du mois de juillet, si elle connaît un épisode similaire, elle devra aller à Auxerre ou à Troyes, à 40 minutes ou une heure de route d'ici. Elle paiera la conséquence d'une grave erreur de l'agence régionale de santé », explique avec calme le médecin de 57 ans, praticien hospitalier depuis huit ans dans ce petit hôpital, situé au milieu des vignes, au nord de la Bourgogne.
Accrochée à l'une des grilles d'entrée de l'établissement, la large banderole « Sauvons nos urgences, question de survie » brille sous un lampadaire. « Paradis fiscaux d'un côté, déserts médicaux de l'autre. Stop ! Assez ! » agrémente l'autre barrière blanche.
Nécessité fait loi
Les urgences de Tonnerre sont dans la tourmente comme celles d'Avallon, Clamecy, Decize, Gray et Chatillon-sur-Seine. Selon l'ARS Bourgogne-Franche-Comté, ces six établissements enregistrent une activité inférieure à 11 500 passages annuels. Quand la pénurie d'urgentistes gangrène la région (et que la très grande majorité de la population du territoire régional est domiciliée à moins de 30 minutes d’une implantation service d'urgence et SMUR), nécessité fait loi pour l'ARS : il faut réduire la voilure, en commençant par réfléchir à l'organisation de nuit.
À Tonnerre, l'ARS entend donc passer dès cet été de deux urgentistes à temps plein à un seul, épaulé par un confrère non urgentiste en cas de sortie SMUR. Cela suppose la fermeture des lits d'USC de Tonnerre, qui requièrent la présence obligatoire d'un urgentiste. Un effet collatéral qui désole les soignants, très attachés à cette unité qui tourne bien et agit comme un sas de décompression pour les patients.
Une refonte douloureuse
Céline Plaut est membre du collectif tonnerrois pour la défense de la santé. Sur le papier, elle est infirmière aux urgences. Dans la vraie vie du service, elle brancarde, fait le ménage et enchaîne pendant 12 heures « une masse de tâches pas quantifiables qu'ils ne voient pas ». « Ils », ce sont les « technos », les « gens de Paris qui ne parlent qu'en chiffres ».
Le Dr Salim Benchouieb est sur la même longueur d'onde : « il n'y a pas d'indicateur pour la demi-heure passée à parler à la mamie pour faire le tour du problème. Ce n'est pas le nombre de patients mais la durée qui compte. » Selon le médecin, les urgences enregistrent en moyenne sept patients entre 20 heures et 8 heures. Précis, l'ancien interniste de l'AP-HP sort le grand cahier du planning de nuit : des douleurs thoraciques à 1 h 55 et à 6 heures ; une infection urinaire à 7 heures ; une autre nuit, des douleurs lombaires à 4 h 50, une otite à 7 heures et des douleurs abdominales à 8 heures. Tout peut arriver : les urgences prennent en charge sept à huit accouchements par an.
La refonte programmée du service attriste d'autant plus le Dr Benchouieb que l'équipe médicale est stabilisée depuis cinq ans, grâce aux efforts de la direction. L'intérim est limité à une ou deux dizaines de vacations par an. Le service tourne avec deux tiers de praticiens hospitaliers et un tiers de contractuels. Selon l'urgentiste, un médecin attaché perçoit 1 000 euros par garde.
Mais aujourd'hui, cette politique ne suffit plus pour attirer de nouveaux professionnels dans une région victime de la désindustrialisation. « L'ARS n'a pas assez mesuré la difficulté de vivre dans une zone rurale socialement en difficulté, admet le directeur de l'hôpital, Frédéric Roussel. Il y a une douzaine de médecins généralistes à Tonnerre. D'ici à cinq ans, on en comptera deux à trois fois moins. Ce qu'il reste pour se soigner, ce sont les urgences ! C'est un endroit où l'on peut toujours trouver quelqu'un. »
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