Par Patrick Ferrer
– Ça ne fait aucun sens, pourquoi le corps aurait-il été transporté ici ? Au cinquième étage ! Sans ascenseur !
La fille baissa son masque sanitaire. Elle avait une tête ronde qu’accentuait le chignon serré. Pas vraiment jolie, mais pas laide non plus. Ordinaire, si ce n’était pour ce menton volontaire qu’elle pointait vers lui comme une arme de service.
– Je ne peux pas encore répondre à cette question, commissaire. Mais l’état de décomposition du cadavre n’est pas cohérent avec le stade de développement des nécrophages. Ces larves sont jeunes, trois jours maximum, alors que cette femme est morte depuis bien plus longtemps. L’odeur du sang peut attirer les diptères, les mouches bleues si vous préférez, à des kilomètres à la ronde dans les minutes qui suivent le décès. On ne les a jamais vues attendre une semaine avant de commencer la ponte. De plus, il n’y a pas de flaque de sang sous la victime. Ça m’a l’air assez évident.
Desjoux ne sut quoi répondre, mais il était sûr d’une chose : il n’allait pas laisser une histoire de mouches lui pourrir la journée.
– D’ailleurs, il est rare que les femmes se suicident par arme à feu, reprit la stagiaire. Elles préfèrent les morts lentes. Selon toute évidence, il s’agit d’un homicide. On ne voit pas de zone de tatouage autour de la plaie, caractéristique des tirs à bout portant, ce qui indique que votre victime se serait tiré une balle dans le cœur d’une distance supérieure à un mètre cinquante… Assez peu probable, si vous voulez mon avis.
Desjoux sentit les premières palpitations indicatrices d’une montée d’adrénaline. Son cardiologue lui avait dit d’y aller mollo, mais il n’avait pas, lui, à se coltiner des petites morveuses qui n’étaient pas encore nées le jour où il avait examiné son premier macchabée. Le pire, c’est qu’il était à peu près certain de reconnaître la victime.
– Écoutez, mademoiselle Boursin…
– Bourdin, commissaire.
– Oui, bon. Ça fait vingt ans que je fais ce métier et vous n’allez pas m’apprendre à reconnaître un suicide quand j’en vois un. Toutes vos… théories, là, les mouches, le tatouage et je ne sais quoi, c’est bien joli, mais ce n’est pas vous qui vous tapez la paperasse.
– Et comment allez-vous expliquer dans votre rapport qu’elle se soit rhabillée toute seule alors qu’elle était morte depuis longtemps ?
– Que… quoi ?
La fille retourna le cadavre, libérant une autre volée de miasmes qui força Desjoux à coller son nez à la fenêtre. Elle dégrafa le soutien-gorge de la victime et pointa triomphalement vers la plaque verdâtre qui s’étendait sur son dos.
– Voyez, pas de marque ! La zone d’hypostase est ininterrompue. La victime était torse nu dans les douze heures qui ont suivi le décès. Probablement à poil, je dirais.
Elle soulevait déjà l’élastique de la culotte du cadavre pour observer la couleur de la peau.
– C’est plutôt évident. Lorsque l’épiderme est compressé par les vêtements, le sang ne peut pas se déposer et, du coup, il n’y a pas de zone de lividité à ces endroits-là. Ce qui n’est pas le cas…
– Arrêtez de manipuler ce cadavre ! Vous polluez la scène de crime !
– La victime n’est pas morte ici, commissaire. Pas votre scène de crime, je dirais. Si elle était dévêtue au moment du décès, on doit pouvoir retrouver des fibres incrustées dans l’épiderme qui nous indiqueront où ça s’est passé…
Le commissaire leva les yeux au ciel et sortit en claquant la porte. La jeune légiste ne parut même pas remarquer son départ, tout occupée qu’elle était à gratter légèrement la peau du cadavre.
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