Les chirurgies effectuées par voie ouverte ou qui induisent un délabrement tissulaire important (chirurgie thoracique, abdominale, amputation, mammectomie…) sont pourvoyeuses de douleurs de forte intensité. La douleur aiguë postopératoire a, par ailleurs, une origine neurogénique, inflammatoire et s'accompagne de processus d'activation. En effet, « l'agression chirurgicale génère des phénomènes de sensibilisation primaire et secondaire, associés à une hyperexcitabilité neuronale », affirme le Pr Gilles Lebuffe, anesthésiste-réanimateur au CHU de Lille. Après l'intervention, la douleur déclenchée, par exemple, lorsque l'on exerce une pression sur la cicatrice est principalement liée à une sensibilité primaire : elle est d'origine périphérique. Celle survenant à la suite d'un simple frottement en périphérie de la cicatrice est liée à une sensibilité secondaire : elle est à la fois périphérique et centrale.
Identifier les patients à risque de douleurs intenses
« Chez certains patients opérés, nous pouvons déclencher, à l'examen clinique, des douleurs intenses à distance de la cicatrice. Nous avons les moyens d'identifier, en préopératoire, les patients à risque de développer une hyperexcitabilité neuronale et donc, des douleurs plus intenses, en postopératoire », confie le Pr Lebuffe. Il s'agit notamment des sujets âgés ; de la population féminine ; des patients anxieux, dépressifs ; présentant une douleur en préopératoire ; prenant des antalgiques ; ayant un fort besoin d'information avant l'intervention ou étant, au contraire, mutiques. « Dès la phase préopératoire, nous devons réfléchir à la stratégie de prise en charge antalgique de ces patients qui risquent fort de développer des douleurs intenses en postopératoire. Car si ces douleurs ne sont pas prises en charge de façon optimale, les patients risquent de les conserver des mois, voire des années après l'opération. », note le Pr Lebuffe. L'intervention engendre, chez ces patients, un excès de nociception qui se surajoute aux phénomènes de sensibilisation déjà installés. « Pour ces derniers, après l'intervention, nous proposons, outre les morphiniques, des inhibiteurs du récepteur NMDA, impliqués dans les phénomènes de sensibilisation : notamment, la kétamine, administrée juste avant l'incision, au moment où l'on induit l'anesthésie. Des perfusions d'anesthésiques locaux par voie intraveineuse sont également possibles », explique le Pr Lebuffe. Les morphiniques jouent un rôle ambivalent : ils peuvent inhiber, mais aussi, faciliter la douleur. Ils doivent être utilisés à bon escient : lorsque le niveau de douleur est important (supérieure ou égale à 6 sur l'échelle numérique)
Un large arsenal thérapeutique
Quel que soit le patient, la stratégie antalgique postopératoire doit être multimodale afin de permettre une gestion des différentes voies d'activation de la douleur, tout en recourant le moins possible aux opiacés. « Selon la classification de l'OMS, nous disposons d'antalgiques de classe I non opiacés comme le paracétamol, les AINS (contre indiqués chez les patients ayant des pathologies gastriques ou rénales, notamment chez le sujet âgé) et le néfopam, antalgique central non opiacé. Les antidouleurs de classe II sont les opiacés faibles dont le chef de file est le tramadol, réservé pour les douleurs d'intensité modérée en association avec les agents de classe I. Les opiacés forts tels que la morphine font partie de la classe III (douleurs intenses) », indique le Pr Lebuffe. En présence d'une composante neuropathique de la douleur, des anti-hyperalgésiques doivent être associés (kétamine, notamment). Les anesthésiques locaux administrés par voie intraveineuse (lidocaïne) ou locorégionale peuvent également être utilisés en postopératoire, notamment chez les patients qui supportent mal les opiacés.
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