Le genre compte pour beaucoup dans les maladies cardiovasculaires (MCV). Tout d’abord pour des raisons anatomiques, les artères étant plus fines et moins longues chez la femme. Ces différences se répercutent sur la régulation de la pression artérielle du fait d’une distance raccourcie entre le cœur et les artères distales. « Une HTA systolique, plus sévère que chez les hommes du même âge, peut ainsi se développer rapidement une fois la ménopause installée, précise le Pr Claire Mounier-Vehier, (CHRU de Lille et Fédération Française de Cardiologie), car la rigidité et l’hypertrophie artérielles due à la carence en œstrogènes accentuent les particularités anatomiques. » Par ailleurs, les artères des femmes sont plus sensibles aux effets toxiques du tabac, du diabète mais aussi du stress (étude Interheart) avec, à l’extrême, la cardiomyopathie aiguë de Tako-tsubo. Ce « faux infarctus de stress » touche quatre femmes pour un homme. Cette sidération myocardique brutale par la libération de catécholamines semble favorisée par la carence œstrogénique de la ménopause.
Le couperet de la carence œstrogénique
Sur le plan du risque thrombotique, la carence oestrogénique joue aussi un rôle majeur. Protégée par ses hormones jusqu’à la ménopause, la femme – privée de ses œstrogènes – évolue ensuite rapidement vers un schéma « thrombose ». D’ailleurs, dans le score CHA2DS2-VASc (guidant la mise ou non sous anticoagulants en cas de fibrillation auriculaire), la femme de plus de 65 ans prend deux points supplémentaires du fait de son sur-risque de thrombose.
Mais les récepteurs œstrogéniques se trouvent aussi au niveau rénal. Et dès la périménopause, l’HTA devient,bien plus facilement que chez l’homme, volodépendante, la femme éliminant moins le sel, faute d’œstrogènes.
Malgré ces « prédispositions » féminines aux maladies cardiovasculaires, les femmes souffrent encore de
certains préjugés. L’étude « Parité » (2010) conduite chez des patientes hypertendues à risque a ainsi montré qu’une femme a moins de dépistage coronaire parce que dans l’esprit des gens persiste l’idée que la maladie coronaire ne les concerne pas ou peu.
À quand des outils diagnostiques spécifiques ?
Au-delà de ces idées reçues, le « beau sexe » pâtit aussi d’une sémiologie coronaire volontiers trompeuse. Très pertinente dans l’infarctus du myocarde de l’homme, la douleur thoracique n’est en effet pas discriminante chez la femme. Chez celles ayant des facteurs de risque, les signes d’alerte seront plutôt l’essoufflement, une fatigue anormale pour des activités habituelles, des palpitations, une angoisse, des douleurs gastriques ainsi qu’une altération de l’état général. Le Dr Anne-Laure Madika (Lille), dans sa thèse à paraître, a élaboré un score clinique en fonction de trois critères permettant de sélectionner parmi les femmes qui présentent les symptômes ci-dessus, celles chez qui la poursuite des investigations est judicieuse : ménopause de plus de 5 ans, obésité, taux d’HDL bas. Ces trois éléments pris ensemble seront prédictifs d’un test qui sera probablement positif à la scintigraphie, à l’épreuve d’effort ou à l’échographie d’effort.
Une initiative à saluer alors que l’on manque de méthodes diagnostiques totalement adaptées aux femmes. Par exemple, l’épreuve d’effort a été conçue pour les hommes dont l’endurance cardio-vasculaire à l’effort est supérieure. Même la coronarographie ne semble pas toujours coller aux « subtilités » féminines. « Les femmes ont souvent des coronographies considérées comme normales, explique Claire Mounier-Vehier. Or, si les gros troncs coronaires sont normaux, le Doppler endo-coronaire révélera une atteinte de la microcirculation et, donc, de la réserve coronaire, extrêmement fréquente chez la femme. Cette atteinte distale est invisible à la coronarographie mais doit être prise en compte au même titre que des lésions des gros troncs ».
Des traitements « sexistes » ?
Au niveau thérapeutique, certains traitements sont volontiers « sexistes » avec davantage d’effets secondaires en population féminine. Par exemple, les femmes souffrant plus volontiers d’insuffisance veineuse, les œdèmes de membre inférieurs sous dihydropyridine sont plus fréquents chez elles. De même, ces familles thérapeutiques peuvent accentuer les bouffées vasomotrices de la ménopause. « À l’inverse, selon mon expérience, explique le Pr Mounier-Vehier, les femmes préfèrent les diurétiques qui leur donnent l’impression de les aider à perdre du poids. Et elles ne sont pas gênées par les effets secondaires “sexuels ” des bêtabloquants. »
Concernant les doses de médicaments, celles-ci ont été évaluées à partir de populations principalement masculines. En conséquence, les femmes saignent plus avec les antithrombotiques prescrits à la phase aiguë de l’infarctus ou lors des fibrinolyses. Elles ont aussi tendance à resténoser plus facilement sur les patchs carotidiens, amenant les neurologues et les chirurgiens à sélectionner les indications de chirurgie carotidienne en fonction du sexe (hors cas de sténose compliquée d’AVC). Quant au cœur Carmat ®, il n’est pas encore implantable chez la femme car encore trop volumineux pour sa cage thoracique !
Les choses semblent toutefois bouger. « La médecine différenciée commence à être prise au sérieux », entrevoit Claire Mounier-Vehier. En cardiologie interventionnelle, par exemple, des stents coronaires adaptés aux femmes sont désormais commercialisés quand sur le plan épidémiologique, les États-Unis se sont déjà dotés d’un registre (le registre WISE) pour explorer les spécificités des maladies cardio-vasculaires en fonction du genre. Et en France, l’InVS devrait sortir, début 2016, une étude ciblée sur l’infarctus de la femme.
Article suivant
Des réponses différentes
Le cœur féminin à la peine
Des réponses différentes
Moins de diabète, mais plus de complications
« Douillettes » mais pas « chochottes » !
Entre trop et trop peu de dépistage
Quand la BPCO avance « masquée »
Constipation, le stress mais pas seulement...
« Le prisme du genre »
Beaucoup de femmes médecins … mais peu de femmes doyens !
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation