Avec un corps « machinisé »

Le patient cyborg est-il déjà une réalité ?

Publié le 05/10/2015
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Le patient « cyborg » existera-il un jour ? Et si oui, dans quel délai sera-t-il possible de « réparer » ou même « d’augmenter » un être humain avec des organes entièrement artificiels ?

Ces questions passionnent les médias qui ont fait un véritable feuilleton des moindres péripéties du cœur artificiel Carmat, qui n’en est pourtant qu’au tout début de son expérimentation chez l’homme. De manière très récente, la presse s’est aussi jetée sur le projet encore bien plus préliminaire de « poumon artificiel portatif » conduit par le centre chirurgical Marie-Lannelongue au Plessis Robinson.

De manière plus confidentielle, elle s’est aussi régulièrement fait l’écho des travaux nettement plus avancés sur le pancréas artificiel autonome du Pr Eric Renard (Montpellier). Un pancréas de rechange qui se présente en fait sous la forme d’une pompe à insuline, d’un appareil de mesure continue de la glycémie et d’un module de contrôle installé dans un smartphone. « Tous ces projets sont très intéressants mais, à mon avis, la question du patient cyborg a émergé bien avant le lancement du cœur artificiel. Pour moi, le cyborg a démarré dès la pose des premiers pace-makers, des premiers implants cochléaires ou même des premières prothèses de hanche », explique l’ancien ministre de la Santé et ancien président de la Croix-Rouge Française, le Pr Jean-François Mattei, par ailleurs pédiatre et généticien.

Certes tous ces dispositifs médicaux n’ont pas le même mode de fonctionnement. « On pourra me dire qu’une prothèse de hanche est inerte, de même par exemple qu’une veine en téflon, poursuit-il. Mais un implant cochléaire s’adapte au volume sonore et le pacemaker va se mettre en stimulation dès que le rythme cardiaque du patient va tomber en dessous d’un certain seul. Ce ne sont pas des objets inertes mais déjà des objets qui, comme un greffon humain, agissent comme des machines intégrées à l’intérieur du corps humain. En fait, aujourd’hui, on assiste à un corps qui se "machinise" alors que, de manière un peu paradoxale, on voit de plus en plus de robots qui s’humanisent ».

Le cerveau : la frontière

Le Pr Mattei ne conteste pas que la mise au point d’un cœur artificiel, qui ferait la preuve durable de son efficacité, serait une avancée médicale très utile. Mais pour lui, le vrai tournant, celui qui pourrait bouleverser la place de l’humain face à la technologie, serait la mise au point d’un « cerveau artificiel ». Un domaine dans lesquelles les recherches ne manquent pas. « On peut par exemple citer le projet de cerveau artificiel conduit à Lausanne, qui bénéficie d’un important financement européen », indique l’ancien ministre, également très attentif à tous les recherches menées auprès de personnes paraplégiques qui, grâce à des implants implantés dans le cerveau, sont aujourd’hui capables de faire quelques mouvements des bras ou des jambes, rien que par la pensée.

En attendant, le Pr Mattei s’interroge sur le passage de l’homme « réparé » à l’homme « augmenté ». Une frontière qui, selon lui, pourrait très bien être franchie dans les années à venir. « Dès lors qu’on arrivera à faire fonctionner une machine assurant la fonction cardiaque au sein d’un organisme humain, il sera certainement très possible d’augmenter la capacité de ce "cœur" à battre plus vite ou à oxygéner davantage. Et au-delà du cœur, on peut très imaginer que d’autres machines pourront augmenter par exemple les défenses immunitaires ou les capacités de mémoire d’une personne ou réduire ses besoins de sommeil pour lui permettre d’être toujours plus active. »

Selon le Pr Mattei, ce nouveau cap n’entrerait pas nécessairement « en contradiction avec les buts de la médecine qui ont toujours été d’améliorer la condition de la vie humaine ». « Mais, estime-t-il, ces avancées ne seront acceptables que si l’homme garde sa liberté et sa responsabilité, les deux fondements de son humanité. »

Antoine Dalat

Source : Le Quotidien du Médecin: 9438