Le séquençage du génome

Que va-t-on en faire dans la pratique clinique ?

Publié le 05/10/2015
Séquenceurs d'ADN du Joint Genome Institute (États-Unis)

Séquenceurs d'ADN du Joint Genome Institute (États-Unis)
Crédit photo : PHANIE

Le génome à prix cassé ? Une telle évolution ne saurait être sans conséquences sur les conditions mêmes d’exercice de la médecine. « Dans 15 ou 20 ans, pour le médecin généraliste, il sera aussi anodin de demander la séquence d’un gène qu’une sérologie HBV », explique Jean-François Deleuze, directeur du Centre National du Génotypage (CNG).

« Il sera bientôt plus efficace de séquencer l’ensemble du génome »

Il reste toutefois du chemin à parcourir avant que le séquenceur ne prenne sa place aux côtés du stéthoscope parmi les outils diagnostics. Aujourd’hui, en France, le séquençage total reste limité au cadre de la recherche. Certes, le génotypage, par lequel on se contente d’analyser certaines régions spécifiques du génome dont on connaît le rôle, est fréquemment utilisé dans le cadre du cancer ou des maladies rares, par exemple. Mais dans d’autres domaines où l’on sait que les gènes jouent un rôle important comme les maladies auto-immunes, le diabète ou l’autisme, les scientifiques ne parviennent pour l’instant à identifier que des prédispositions.

Malgré tout, le séquençage total du génome est appelé à devenir monnaie courante. C’est du moins l’opinion de Bernard Courtieu, PDG d’IngegraGen, une entreprise française spécialisée dans le secteur. « Il y a quelques années, explique cet industriel, lorsqu’on voulait séquencer un panel de gènes liés à l’oncogenèse, on ne s’intéressait qu’à quelques dizaines de gènes. Mais maintenant, on parle de centaines de gènes. Il sera donc bientôt plus efficace de séquencer l’ensemble du génome. »

Hors de nos frontières, le séquençage a d’ailleurs déjà franchi la barrière entre recherche et exercice clinique. Une source préférant garder l’anonymat l’assure : certains patients français commencent à réclamer à leur médecin un séquençage qui leur est interdit en France, mais qu’ils peuvent effectuer en Allemagne, pays où la pratique est légale à des fins diagnostiques.

Médecine de précision et médecine prédictive

La grande question n’est donc pas de savoir si le séquençage va passer la porte des cabinets médicaux, mais de savoir quand il le fera, et surtout ce que l’on fera des nouvelles données qu’il permettra d’obtenir.

L’une des applications les plus évidentes est bien entendu la médecine de précision. La connaissance fine du code génétique d’un patient permet en effet de développer des thérapies ciblées, et de savoir à quelle molécule un patient va répondre, ou ne pas répondre.

Une autre des utilisations potentielles est beaucoup plus controversée : il s’agit de la médecine prédictive. Il suffit de se souvenir de l’affaire Angelina Jolie. En mai 2013, l’actrice avait en effet déclenché une polémique mondiale en annonçant qu’elle avait subi une double mastectomie préventive après avoir découvert qu’étant porteuse du gène BRCA1, elle avait 87 % de chances de développer un cancer du sein.

Qu’en sera-t-il lorsque l’on disposera de l’ensemble des informations contenues dans l’ADN ? « Quand on séquence, on trouve forcément autre chose que ce pour quoi on a séquencé », explique Jean-François Deleuze, du CNG. « Quand il prescrira un séquençage, le médecin devra donc être formé pour être capable de savoir ce qu’il doit regarder et ce qu’il ne doit pas regarder. »

Les problèmes liés à ce que l’on appelle « les découvertes incidentales » sont déjà connus avec les analyses biologiques et avec la radiologie, mais ils prendront une tout autre dimension dans le cadre de la génomique. « Connaître l’analyse moléculaire du génome, en comparaison de l’analyse biologique, c’est remonter un peu plus haut dans la chaîne des événements », analyse Jean-François Deleuze.

Révolution du diagnostic ou révolution du système de santé ?

L’arrivée de la génomique dans la pratique clinique quotidienne ne se fera pas sans profondes transformations. « Typiquement, la donnée médicale appartient au patient et est interprétée par le médecin », explique Bernard Courtieu. « Mais les données contenues dans un simple exome pèsent déjà une vingtaine de gigaoctets. À ce niveau, les données ont beau appartenir au patient, elles sont inexploitables sans l’intervention de logiciels. On n’est plus dans l’examen clinique, et des questions de droit à l’accès se posent. »

Alors, bientôt un séquenceur dans le cabinet du généraliste ? « Cela pourrait être possible », explique Marc Rajaud, cofondateur de GenoSplice, une autre entreprise spécialisée dans l’analyse de données génétiques. « Pour l’instant, les séquenceurs coûtent cher et prennent de la place, mais certains travaillent déjà à réaliser des appareils qui font la taille d’un disque dur. »

De quoi révolutionner les conditions d’exercice des médecins d’après le Dr Laurent Alexandre, président de DNAVision, une société qui se présente comme le leader européen de l’analyse génétique : « Les conséquences de la révolution génomique sont importantes pour la façon de diagnostiquer, mais elles le sont encore plus pour l’organisation de la médecine », explique-t-il. Pour ce spécialiste de la question, la génomique marque en effet « l’an 0 du transfert du pouvoir médical vers le système expert ».

Laurent Alexandre considère en effet que la médecine est en passe d’être vassalisée par les entreprises d’intelligence artificielle. Jamais avare d’augures, il avertit ses confrères : « La génomique n’est qu’une vaguelette par rapport au tsunami qui arrive avec les NBIC [Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives, NDLR]. » Aux médecins, donc, de savoir s’ils doivent se mettre aux abris ou prendre la mer.

Adrien Renaud

Source : Le Quotidien du Médecin: 9438