DE NOTRE CORRESPONDANTE
LE QUOTIDIEN : Comment ont débuté vos travaux ?
Pr GÉRARD KARSENTY : Le cerveau exerce une influence négative puissante sur la masse osseuse. Cela impliquait que l’os devait tenter de contrecarrer cette régulation. En tant qu’hormone d’origine osseuse, l’ostéocalcine était un excellent candidat pour tester cette hypothèse.
Quels sont vos principaux résultats ?
L’ostéocalcine agit dans le cerveau, de deux façons distinctes mais complémentaires. Elle traverse la barrière hémato-encéphalique, se lie a des neurones du mésencéphale et de l’hippocampe, favorise la synthèse de sérotonine et de catécholamines, freine la synthèse du neurotransmetteur inhibiteur GABA, et favorise la neurogénèse adulte. Deuxièmement, l’ostéocalcine est nécessaire au développement du corps calleux et de l’hippocampe.
La traduction clinique est que les souris KO (ostéocalcine -/-) sans ostéocalcine sont plus déprimées et anxieuses que les souris normales et n’ont aucune mémoire.
La prévention de l’anxiété et de la dépression est une fonction postnatale d’ostéocalcine, alors que son influence sur la mémoire est a la fois pré et post-natale. En effet, lorsque nous avons infusé de l’ostéocalcine dans le cerveau des souris ostéocalcine -/-, nous avons corrigé complètement la synthèse des neurotransmetteurs, l’anxiété et dépression, mais seulement partiellement la mémoire.
De même, si le gène ostéocalcine est inactivé à l’âge adulte, les souris sont déprimées et anxieuses mais elles ont une mémoire normale. De plus, l’inactivation post-natale de l’ostéocalcine n’affecte pas le développement de ces structures cérébrales.
80 % de l’ostéocalcine d’origine maternelle.
Il était clair dès lors que l’ostéocalcine exerce deux fonctions : l’une postnatale due à son action sur la synthèse des neurotransmetteurs ; l’autre développementale, ayant trait à la genèse de l’hippocampe (essentiel pour la mémoire) et du corps calleux et à l’établissement de la mémoire.
Cette fonction prénatale était surprenante car en 18 ans de recherche sur le gène de l’ostéocalcine, je n’ai jamais vu son expression chez l’embryon jusqu’à 24 heures avant la naissance. Même en utilisant une technique très sensible, nous n’avons détecté une expression osseuse du gène que 4 jours avant la naissance ; cependant, et de façon étonnante, l’ostéocalcine était mesurable dans le sérum de l’embryon 6 jours avant la naissance ! La seule explication était que l’ostéocalcine était synthétisée par la mère et traversait le placenta. Nous avons montré que, effectivement, 80% de l’ostéocalcine à la naissance venait de la mère.
A partir de là, les expériences ont été refaites en examinant deux groupes de souris KO. Celles nées de mères homozygotes mutantes ont effectivement une hypoplasie de l’hippocampe et pas de mémoire; celles nées de mères hétérozygotes ont un hippocampe normal et une mémoire bien moins affectée.
Pour vérifier que l’ostéocalcine exerce bien un effet développemental uniquement sur la mémoire, nous avons croisé des pères homozygotes avec des mères homozygotes, et nous avons injecté de l’ostéocalcine chez la mère durant la grossesse (une injection par jour, la demie-vie d’ostéocalcine est de 15 minutes). La mère et les souris qu’elles portent n’ont jamais été exposées à l’ostéocalcine après cela. À la naissance, ces souris nées de mères recevant l’ostéocalcine 15 minutes par jour ont un cerveau normal ; à l’âge de 3 mois, elles sont déprimées et anxieuses, mais leur mémoire est intacte.
En déduisez-vous des implications cliniques ?
La première est une implication diagnostique pour la dysplasie cléido-crânienne, une maladie génétique de l’os due à l’absence du facteur de transcription osseux Runx2. 30 à 50% de ces patients ont un déficit cognitif et la question se pose maintenant de savoir si ce déficit est lié à une diminution de synthèse d’ostéocalcine.
Deuxièmement, l’ostéocalcine pourrait avoir un potentiel thérapeutique. D’une part pour atténuer les déficits cognitifs liés au vieillissement, puisque l’âge est associé à une baisse de la masse osseuse en même temps qu’à une baisse des fonctions cognitives régulées par l’ostéocalcine .
D’autre part, chez les mères dénutries ; s’il est vrai que leurs enfants sont enclins à développer des syndromes métaboliques et des troubles psychiatriques, l’ostéocalcine pourrait prévenir ces troubles.
Cell 26 septembre 2013, Oury, Karsenty et coll.
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