Stratégie nationale de santé

Le casse-tête du tiers payant

Publié le 26/09/2013
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C’EST LA MESURE emblématique de la stratégie nationale de santé. « La généralisation du tiers payant pour l’ensemble des soins de ville interviendra au plus tard en 2017, a annoncé Marisol Touraine. Concrètement, dans 4 ans au plus tard, les Français n’auront plus à avancer les frais de leur consultation médicale. »

Spectaculaire la réforme concernerait les médecins généralistes et spécialistes de secteur I et de secteur II, a précisé le ministère. Cette annonce, très relayée médiatiquement toute la semaine, est un marqueur social fort pour le gouvernement qui a construit sa stratégie de santé sur l’accès aux soins, notamment des plus fragiles. Elle concrétise un engagement du candidat Hollande... même si l’échéance fixée est lointaine.

400 organismes dans la boucle.

Mais la ministre de la Santé l’a reconnu : la généralisation du tiers payant « est techniquement compliquée ». Elle verra donc le jour par étapes. Déjà octroyée aux bénéficiaires de la CMU-C et de l’aide médicale d’État, aux accidents du travail, maladies professionnelles et à certains actes de prévention, la dispense d’avance de frais sera dans un premier temps étendue aux bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé (ACS) en 2015. Sa généralisation était dans l’air du temps. La convention 2011 a élargi le tiers payant aux actes excédant 120 euros et à la permanence des soins régulée. Selon le ministère, un tiers des consultations est déjà réalisé sans demander d’honoraires.

Derrière cette mesure, c’est aussi une conception du paiement direct à l’acte par le malade qui est remise en cause. « Quand un patient donnera sa carte Vitale au médecin, il ne paiera pas, a résumé Marisol Touraine, mais il faudra s’assurer que le médecin soit réglé par l’assurance-maladie et les complémentaires (près de 400 organismes) ».

Récupérer la franchise.

Pour relever le défi, la ministre a évoqué une « plateforme »,« simple et robuste », interface entre le patient et les régimes obligatoires et complémentaires. En pratique, rien n’est simple. Le patient devra, s’il consulte un praticien de secteur II, s’acquitter de la partie des dépassements qui ne sont pas pris en charge par sa mutuelle. Le forfait d’un euro par acte complique la donne. « Nous avons à trancher comment nous allons traiter le sujet de la franchise d’un euro par consultation qui n’est pas remboursé », a relevé Marisol Touraine.

Le patient devra-t-il s’acquitter d’un euro au médecin ? La récupération des règlements sera-t-elle garantie ? Ces questions restent sans réponse. « Le tiers payant fonctionne dans les pharmacies, chez les biologistes, les radiologues, il doit pouvoir fonctionner chez les médecins, assure le Dr Claude Pigement, ancien responsable santé du PS, fervent défenseur de la mesure. Pourquoi ne pas mettre en place un prélèvement bancaire automatique pour récupérer la franchise avec l’accord des patients ? »

Levée de boucliers.

Les patients ont salué la généralisation du tiers payant. « C’est une bonne mesure même si elle ne résoudra pas tous les problèmes d’accès aux soins », déclare Marc Morel, directeur du CISS (usagers), qui rappelle que nombre de spécialistes ne prennent pas la carte Vitale. La profession en revanche a affiché ses doutes. La CSMF exige une « garantie de paiement des consultations et des actes médicaux, sans délai et sans frais supplémentaire » (lire aussi ci-dessous). La FMF dénonce une « mesure politicienne démagogique ».

La ministre de la Santé a beau assurer que sa réforme n’entraînera pas une « étatisation de la médecine libérale » et qu’il ne « s’agit pas de salarier les praticiens », l’Union française pour une médecine libre (UFML) voit dans le tiers payant pour tous « l’assujettissement des médecins aux organismes payeurs ».

MG France soutient la possibilité offerte aux praticiens de pratiquer la dispense d’avance de frais. « Analysons les modalités, précise le Dr Claude Leicher, président du syndicat. Pour la CMU, les choses fonctionnent. Si c’est aussi fiable, ça va, mais il n’est pas question pour le médecin d’aller chercher ses tickets modérateurs chez les patients. »

Une option ?

À ce stade, le ministère de la Santé, prudent, n’évoque pas explicitement la généralisation obligatoire mais une « possibilité ouverte aux médecins » d’accorder la dispense d’avance de frais. Reste que la pression sera forte sur les médecins. Ségur promet une concertation - médecins, Sécu, complémentaires - pour examiner « le niveau » de la dispense d’avance des frais, sa gestion technique, ses contreparties, sa gouvernance. À la CNAM, on se prépare. Une réunion spécifique sur la généralisation du tiers payant s’est tenue au soir-même de l’annonce ministérielle. « Il y a des points de blocage à l’assurance-maladie », confie un expert. Les organismes complémentaires sont plus réceptifs. « Nous sommes favorables et nous avons commencé à prendre contact avec les syndicats de médecins sur ce sujet », confie Fabrice Henry, président de l’UNOCAM. La Mutualité promet de « participer activement aux travaux ». C’est en ordre dispersé, et dans un certain flou, que le monde de la santé se prépare au chantier du tiers payant généralisé.

CHRISTOPHE GATTUSO

Source : Le Quotidien du Médecin: 9266