Les médecins qui sortent de la fac sont-ils si différents des médecins actuels ? On les place souvent en opposition avec les règles du jeu libéral. Et d’aucuns estiment que l’attitude dilettante des jeunes serait même responsable de l'aggravation la pénurie médicale actuelle. Est-ce exact ? Le point sur les a priori dont est souvent affublée cette génération montante.
Il n’y a que des filles
La féminisation de la profession est une réalité indéniable : la liste des 8 706 lauréats des Épreuves classantes nationales (ECN) pour l’année 2018 telle que publiée au Journal officiel mentionne 3 742 hommes, contre 4 964 femmes. Le sexe que l’on ne qualifie plus de « beau » représente donc 57 % des nouveaux médecins arrivés cette année dans les hôpitaux de France et de Navarre.
Et pourtant, la poussée des jeunes femmes médecin n’a pas encore inversé le rapport numérique avec les hommes, tous âges confondus : d’après le dernier Atlas démographique du Conseil national de l’Ordre des médecins, les femmes étaient encore minoritaires (47,5 %) en 2018 parmi les praticiens inscrits au tableau. On est loin des chiffres que l’on atteint dans certaines professions comparables que l’on cite généralement comme ayant connu une forte féminisation : d’après le ministère de la Justice, par exemple, 66 % magistrats étaient en effet en 2017… des magistrates.
Ils sont de moins en moins nombreux
La pénurie de médecins est si présente dans les esprits qu’on a tendance à oublier que le si décrié (et bientôt défunt) numerus clausus est en constante augmentation depuis le début des années 1990. À la rentrée prochaine, ce sont ainsi 9 314 étudiants qui seront autorisés à s’inscrire en médecine, soit le chiffre le plus haut jamais atteint depuis l’introduction de ce mécanisme en 1972. On est loin du plus bas historique, atteint en 1992 quand seulement 3 500 carabins ont été admis en deuxième année !
Reste qu'étant donné le temps qu'il faut pour former un médecin, d'une part, et les besoins de soins croissants causés par le vieillissement de la population, d'autre part, on n'a pas fini d'entendre parler de la crise de la démographie médicale.
Ils préfèrent le salariat
C'est bien connu, les jeunes médecins n'ont pas la fibre entrepreneuriale, et préfèrent le confort douillet du salariat aux dures réalités de la vie libérale. D'ailleurs, le nombre de médecins employés dans les centres de santé grimpe en flèche : d'après les chiffres du Cnom, ils sont maintenant 4491, contre seulement 2 546 en 2010.
Mais cette augmentation est-elle seulement due aux jeunes ? Pas si sûr, même s'il est difficile d'obtenir des chiffres précis sur la démographie des médecins salariés. « Il y a en tout cas une diversité de profils », estime Hélène Colombani, présidente de la Fédération nationale des centres de santé (FNCS) « On a à la fois des jeunes, des gens plus âgés qui sont un peu burn-outés en raison d’une pratique trop isolée, des cumuls emploi-retraite… » En résumé : la vogue du salariat n'est pas (uniquement) le fait des jeunes…
Ils ne veulent pas travailler plus de 35 heures
Les jeunes médecins refusent-ils vraiment de sacrifier leur vie personnelle sur l’autel de leur vie professionnelle ? C’est ce qu’on entend très souvent dire. Sauf que les données disponibles ne corroborent pas vraiment cette affirmation. Le Portrait des professionnels de santé établi en 2016 par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) du ministère de la Santé montre par exemple qu’en 2011, les généralistes de moins de 45 ans travaillaient en moyenne 55 heures par semaine. Une durée de travail inférieure seulement de 3 heures à celle des plus de 45 ans. Et côté hospitalier ?
La même publication indique qu’en 2013, les médecins qui travaillaient en établissement étaient 60 % à être soumis à des astreintes… Dix points de plus que la situation que connaissaient leurs aînés en 2003. Le poil n’est pas forcément dans la main du praticien le plus jeune…
Ils n’aiment pas la campagne
Les vertes prairies, les hameaux perdus, les terroirs aux charmes surannés, tout cela n’est pas vraiment la tasse de thé des jeunes médecins. Vraiment ? Selon une enquête que le Dr Olivier Le Pennetier, ancien président de l’Intersyndicat national des syndicats d’internes (Isni), a menée dans le cadre de sa thèse de médecine générale en 2018, 72 % des jeunes généralistes seraient prêts à s’installer en ruralité ou en semi-ruralité. Ces travaux, qui portent sur 90 praticiens de la subdivision d’Aix-Marseille en dernière année d’internat ou en première année de post-internat, montrent que « les jeunes médecins sont prêts à aller en ruralité mais pas au prix d'un territoire à l'abandon sur le plan économique, culturel ou des loisirs, ou délaissé par l'État. »
En clair, ce ne sont pas les jeunes médecins qui boudent la ruralité, mais plutôt la ruralité qui boude des jeunes médecins prêts à se laisser tenter par elle… pourvu qu’elle soit à même de leur offrir un minimum de garanties : écoles pour leurs enfants, opportunités d’emploi pour leur conjoint, et quelques activités culturelles pour éviter de passer toutes leurs soirées devant Netflix (si le débit le permet).
Ils préfèrent le rempla’ à l’installation
Le remplacement est incontournable avant une installation en libéral, et les jeunes ont une certaine tendance à se complaire dans la flexibilité qu’offre ce mode d’exercice tout à fait en phase avec les aspirations de la fameuse « génération Y ». D’ailleurs, selon une enquête menée début 2019 auprès de 15 000 médecins et publiée en avril dernier par la commission « jeunes médecins » du Cnom, 81 % des installés ont été remplaçants exclusifs avant de poser leur plaque.
Mais la même étude révèle que seulement 3 % des répondants envisagent une activité intermittente (remplacement ou intérim) comme mode d’exercice durable. Ils sont au contraire 75 % à souhaiter avoir une activité libérale ou mixte. Et ce souhait se réalise assez rapidement : si seulement 12 % des nouveaux inscrits à l’Ordre en 2018 étaient installés, ils étaient 35 % à l’être au bout de 5 ans. Un petit détail tout de même : une infime minorité (3 %) souhaite un exercice libéral en solo. L’installation, oui, mais pas l’installation à la papa…
Seul l’argent les intéresse
Prendre le classement des spécialités les plus demandées par les nouveaux internes à l’issue des ECN 2018, c’est un peu égrener la liste des spécialités les plus rémunératrices. D’après le palmarès établi en septembre dernier par « Le Quotidien », l’ophtalmologie arrive en tête, suivie de la chirurgie plastique et reconstructrice, elle-même talonnée par la dermatologie et la cardiologie. Voilà de quoi alimenter la caricature de jeunes médecins attirés avant tout par l’appât du gain.
Mais cette image est à relativiser. Toutes les enquêtes montrent en effet qu’en matière d’installation, par exemple, les aides financières ont peu d’effet sur les décisions des praticiens fraîchement émoulus. Et il y a plus. En reprenant la liste des spécialités énumérée plus haut, on se rend compte qu’en plus de leur caractère rémunérateur, ces disciplines partagent un deuxième point commun : leur activité est dans une large mesure programmable. Peu de gardes, peu d’urgences, et donc la possibilité d’organiser son temps en subissant moins de contraintes… Le vrai luxe est là !
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