Le parcours du combattant des thérapies géniques

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Publié le 19/03/2021
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Désinvestissement, prix, lourdeurs administratives, les freins au déploiement des thérapies géniques sont puissants.
Les essais cliniques restent difficiles à monter en France

Les essais cliniques restent difficiles à monter en France
Crédit photo : Phanie

Hormis les CAR-T cells Kymriah (287 666 euros par patient) et Yescarta (327 000 euros), aucune des thérapies géniques disposant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) n’est actuellement prise en charge par la Sécurité sociale française. Plusieurs d’entre elles sont seulement disponibles sous forme d’autorisation temporaire d’utilisation (ATU) de cohorte comme Zolgensma dans l’amyotrophie spinale 5q (1,945 million d’euros) ou Luxturna dans la dystrophie rétinienne héréditaire (345 000 euros par œil traité).

L’affolante inflation des prix réclamés par les laboratoires freine ou bloque les dossiers. L’AMM conditionnelle de Zynteglo dans la bêta-thalassémie homozygote ß0-ß0 n’a pas été renouvelée le 26 mars 2019. Selon la Commission économique, la somme demandée par le laboratoire Bluebird Bio (1,575 million d’euros par patient) multiplie par quatre le coût annuel de prise en charge sur les 30 années qui suivent le traitement.

« Ces prix sont injustifiables », estime la Pr Marina Cavazzana, pédiatre au département de biothérapie de l’hôpital Necker-Enfants malades et pionnière de la thérapie génique. Le 21 février, le National Health Service britannique a également refusé de recommander Zynteglo, peu convaincu que ce traitement soit coût/efficace. « Les Italiens ont également estimé que l’efficacité du traitement ne justifiait pas le prix demandé par le laboratoire », complète la spécialiste.

Moins incisif, le directeur scientifique de l’AFM-Téléthon, Serge Braun, juge que ces prix peuvent s’expliquer par les coûts exponentiels de l’innovation. « Ces prix ne sont pas soutenables et risquent de tuer l’innovation, reconnaît-il cependant. Il faut repenser les modèles économiques et le calcul des prix du médicament. Il faut que l’on se pose la question des coûts évités grâce aux thérapies géniques sur la vie entière d’une personne. »

L’économiste Jean De Kervasdoué juge pour sa part qu'« il faut une règle raisonnable, permettant à l’industriel de vivre, de continuer ses recherches, sans faire comme Gilead qui a pris en otage l’ensemble des systèmes de sécurité sociale du monde ».

Le retard industriel français

Pour Serge Braun, le faible accès des patients français aux thérapies géniques s’explique aussi par le retard hexagonal en matière d’investissement et d’industrialisation des médicaments innovants. « Sur les 11 thérapies géniques actuellement sur le marché, une seule est française − le Lumevoq dans la neuropathie optique héréditaire de Leber − alors que cinq sont issues de recherches financées par le Téléthon ! », résume-t-il. Un exemple cuisant : Zynteglo, dont les études de phase 1 sont à mettre au crédit des chercheurs Inserm Emmanuel Payen et Yves Beuzard, mais dont la société Genetix a été rachetée par le capital-risque américain Third Rock Ventures. « Le travail avait été bien prémâché par la recherche française », commente avec amertume Serge Braun.
Sur les 1 000 sociétés spécialisées dans la thérapie génique dans le monde, 30 sont françaises et de taille relativement modeste. Quand Sanofi annonce, en novembre 2020, un investissement de 15 millions sur son site Sanofi Genzyme de Lyon Gerland, Thermo Fisher a lui déboursé 1,7 milliard pour racheter Brammer Bio, « pour un site de production trois fois plus grand qu’YposKesi ! », précise Serge Braun.

Les essais cliniques empêtrés

Avant que ces médicaments soient pris en charge en France, les patients peuvent espérer être traités dans le cadre d’essais cliniques, mais ces derniers restent difficiles à monter en France. La Pr Cavazzana en est bien consciente : « la mise en place de protocoles de recherche est un vrai parcours du combattant administratif », explique-t-elle.
Les équipes qui souhaitent recruter des patients doivent disposer d’un personnel formé aux essais cliniques et aux gestes de premiers secours. Les centres doivent disposer d’un service de radiologie disponible 24 heures sur 24 et d’un laboratoire de thérapie cellulaire répondant aux normes européennes en matière de manipulation des médicaments de thérapie innovante. À Paris, ces conditions ne sont réunies que par les hôpitaux de Necker et de Saint-Louis.

La Pr Cavazzana pointe du doigt les insuffisances de l’hôpital public en matière de recrutement et de formation : « nous avons besoin de médecins qui savent faire la prescription, de pharmaciens qui contrôlent les lymphocytes et les cellules souches au lit du malade, de pharmaciens responsables de la conservation et de la libération des cellules », énumère-t-elle.

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin