DEUX PROBLÈMES majeurs de l’aorte thoracique ascendante, l’anévrisme, développement progressif d’une dilatation, et la rupture ou dissection aiguë, partagent la même pathologie tissulaire et les mêmes étiologies. L’anévrisme de l’aorte thoracique ascendante (TAA) est, comme tout anévrisme où qu’il soit localisé, une pathologie de perte partielle de la fonction de contention du sang à haute pression, fonction élémentaire de la paroi des artères de conductance assurée par la matrice extracellulaire (MEC) fabriquée par les cellules musculaires lisses (CML). Il est déterminé par la destruction de la MEC par des protéases véhiculées par le flux d’eau transpariétal généré par la pression artérielle. Deux éléments jouent un rôle fondamental dans l’altération de l’aorte, l’hémodynamique, avec outre la pression, des phénomènes comme le vortex ou des dysrégulations au niveau du caractère laminaire des flux, et l’importance des zymogènes plasmatiques dans l’agression protéolytique. Dans les TAA, le plasminogène véhiculé à travers la paroi artérielle y est activé en plasmine sous l’action de l’activateur tissulaire du plasminogène (tPA) exprimé par les CML. L’étiologie peut être génétique, liée à des mutations touchant la voie de signalisation du TGFß, ou d’autres protéines telles que l’actine et la myosine. Dans le syndrome de Marfan, l’altération de la fibrilline due à la mutation du gène FBN1, fragilise la paroi, entraînant une sensibilisation à l’agression protéolytique. Les patients atteints vont présenter un TAA à 25 ans, contre 70 ans pour les formes dégénératives. Un TAA peut aussi être associé à la présence d’une pathologie valvulaire (bicuspidie de la valve aortique). La sensibilisation vient ici de l’hémodynamique.
L’équipe du Dr Jean-Baptiste Michel a étudié la réponse de la CML à l’agression protéolytique sur l’ensemble des formes de la pathologie anévrismale, monogénique, associée à la bicuspidie, et dégénérative. Elle démontre pour la première fois l’association de modifications d’ordre épigénétique touchant les CML à une pathologie humaine. On observe dans les TAA une dérégulation de la voie de signalisation du TGFß de réponse à une protéolyse, avec dissociation complète entre les localisations du ligand et de la réponse de signalisation nucléaire (activation de Smad2), suggestive d’un phénomène épigénétique d’activation constitutive de Smad2 dans les CML. Les chercheurs établissent que les CML d’une paroi aortique anévrysmale présentent une surexpression de Smad2 par rapport à celles d’une aorte normale, transmise à travers la mitose au moins jusqu’au cinquième passage de culture cellulaire. Ils mettent en évidence que la surexpression constitutive de Smad2 est liée à des modifications épigénétiques de son promoteur, avec des acétylations (K9/14ac) et une méthylation (K4me) de l’histone H3 d’une région spécifique, signature d’un remodelage chromatinien qui rend plus accessible le promoteur à un facteur de transcription activateur. Ce facteur de transcription va en permanence, constitutivement, augmenter l’expression de Smad2, en amont des gènes de cicatrisation qu’il contrôle. De façon intéressante, l’antiprotéase PN-1 (protéase nexin-1), serpine à effet inhibiteur puissant sur la thrombine et le tPA faiblement exprimée par les CML d’aorte contrôle, l’est fortement dans les CML de TAA. Par contraste, en cas de dissection aiguë cette expression est identique à celle des contrôles. Ces observations témoignent de la mise en place, au niveau des CML, d’un programme épigénétique qui augmente la production d’antiprotéases et permet à l’aorte de se dilater progressivement, un mécanisme absent dans la dissection aiguë (rupture intrapariétale). Au final, le différentiel très important entre anévrisme et dissection n’est pas lié à la pathologie initiale ni à l’étiologie, mais à la manière dont la CML va répondre à l’agression initiale protéolytique, avec dans le cas de l’anévrisme la mise en place d’un système de défense passant par l’autonomisation de la surexpression de Smad2.
D’après la communication « Anévrysmes de l’aorte ascendante : diversité clinique, génétique et phénotypique » du Dr Jean-Baptiste Michel, directeur de l’unité mixte de recherche Inserm U 698, Hémostase, bio-ingéniérie et remodelage cardiovasculaire. CHU Xavier Bichat (Paris).
À lire :
Bäck M et al. Biomechanical factors in the biology of aortic wall and aortic valve diseases. Cardiovasc Res. 2013. Publié en ligne en édition avancée le 2 avril.
Bouton MC et al. Emerging role of serpinE2/protéase nexin-1 in hemostasis and vascular biology. Blood. 2012 Mar 15;119(11):2452-7. doi: 10.1182/blood-2011-10-387464.
Gomez D et al. Epigenetic control of vascular smooth muscle cells in Marfan and non-Marfan thoracic aortic aneurysms. Cardiovasc Res. 2011 Feb 1;89(2):446-56. doi: 10.1093/cvr/cvq291.
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