Le débat autour de l'irresponsabilité pénale pourrait-il faire avancer la réflexion autour de l'expertise psychiatrique ? « C'est fatigant de reprendre tous les matins le même thème sans que rien ne change », s'agace le Dr Jean-Claude Pénochet, co-auteur du rapport Houillon-Raimbourg d'avril 2021. « Déjà lors des auditions de la Haute Autorité de santé (HAS) que j'ai présidées en 2007, l'on insistait sur le fait que l'expertise psychiatrique était en danger », confirme le Pr Jean-Louis Senon.
Le constat est mathématique : les demandes en matière d'expertise ont explosé, dans de nombreux domaines (viols, agressions sexuelles, corruption de mineurs, détention de photos ou vidéos pédopornographiques...), et à différents moments de la procédure (avant le jugement, au cours de l'instruction ou en post-sentenciel). Selon le ministère de la Justice, 49 14 expertises ont été réalisées en 2020.
Plus de missions pour moins d'experts
En revanche, le nombre d'experts psychiatres inscrits sur les listes des cours d'appel ne cesse de diminuer, de 800 en 2007 à 356 en 2020, reflet de la pénurie de psychiatres. « À la cour d’appel de Poitiers, je dois être le seul, il n'y en a plus à Niort, et plus qu'un à La Roche-sur-Yon ou à La Rochelle », illustre le Pr Senon.
Conséquence : les délais s'allongent. « Certaines expertises pour des comparutions immédiates doivent être rendues dans les deux mois ; cela peut se faire au détriment des autres », note le Dr Paul Jean-François (Villejuif).
La qualité n'est pas toujours au rendez-vous, en particulier en matière d'interprétation médico-légale, soit, « la délicate comparaison entre l'état clinique et la notion juridique du discernement, mal délimitée, et non strictement psychiatrique », lit-on dans le rapport Houillon-Raimbourg. C'est d'ailleurs sur cette partie que se cristallisent les divergences des affaires médiatisées, bien plus que sur la question du diagnostic clinique.
Revalorisation et formation
Les remèdes aux maux de l'expertise psychiatrique sont connus depuis des années. Les psychiatres demandent une revalorisation des expertises, que le ministère de la Justice doit acter de façon imminente. Actuellement, pour une expertise, un expert touche selon les barèmes officiels 312 ou 429 euros, selon qu'il est salarié/hospitalier (collaborateur occasionnel du service public) ou libéral (et 20 euros de plus dans le cas d'une infraction sexuelle). Ceci, indépendamment de la complexité du dossier et du temps passé par l'expert (de 30 minutes, pour une garde à vue, à plus de 10 heures). La déposition aux assises ou devant une chambre d'instruction est rémunérée à hauteur de 43 euros (bientôt revue à une centaine d'euros). Certaines expertises exceptionnelles peuvent donner droit à un financement supplémentaire, mais dans des conditions jusqu'ici « impossibles à remplir », selon le Dr Laurent Layet, président de la Compagnie des experts psychiatres (CNEPCA).
Relayant une revendication de toute la profession, « il faudrait que les expertises soient rémunérées à leur juste titre », résume-t-il, évoquant la possibilité de proposer des devis ou d'être payé à l'heure − proposition reprise dans le rapport du sénateur Jean Sol. Le rapport Houillon-Raimbourg, plaide, lui, pour une harmonisation du statut de l'expert, et une tarification unique de l'expertise psychiatrique.
L'amélioration de la formation des experts est un second préalable pour remédier à la crise actuelle. Seuls existent des diplômes universitaires, tandis que le projet de DESC de psychiatrie médico-légale n'a jamais vu le jour. « Il n’y a pas de structuration précise de cette formation, on n’est pas nommé expert sur des diplômes particuliers, il n’y a ni contrôle, ni promotion de la formation continue, le niveau global n’est pas homogène », admet le Dr Manuel Orsat, secrétaire de la CNEPCA.
D'autres propositions, sur la table depuis 2012, sont attendues des psychiatres, comme un système de bourses pour attirer les internes en psychiatrie vers l'expertise ou le développement du tutorat ou de co-saisines.
Entre les lignes, pointe aussi la nécessité d'alléger la pression sociale qui pèse sur un métier qui a perdu de son prestige au fil des dernières décennies. « Certaines cours ne se rendent pas compte de la façon dont elles traitent les experts », regrette le Pr Senon. Le Dr Layet, lui, craint une tendance à la remise en cause des experts qui pourraient être trop vite tenus pour responsables de n'avoir pas décelé la dangerosité d'un patient. « Ce ne sont que des avis destinés à éclairer le juge, mais ils restent et peuvent avoir de lourdes conséquences pour leur auteur », souligne-t-il.
Exergue
Les psychiatres demandent une revalorisation des expertises, essentielle pour rendre la pratique attractive.
Entre les lignes, pointe aussi la nécessité d'alléger la pression sociale qui pèse sur un métier qui a perdu de son prestige au fil des dernières décennies
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