Vies de médecin

Mariam Rastgar : l'étonnante Odyssée d'une étudiante en médecine hors norme

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Publié le 07/03/2019
MARIAM

MARIAM
Crédit photo : Vincent Macé

« Si vous pensez que l'aventure est dangereuse, je vous propose d'essayer la routine… Elle est mortelle. »  C'est avec cette citation de Paulo Coelho, célèbre romancier, que Mariam Rastgar résume son tempérament singulier.

Mariam n'est pas Madame tout le monde. Si à 29 ans, elle a intégré avec succès la 3e année de médecine grâce au système de passerelle entrante - un parcours sélectif destiné à des personnes souhaitant valider un double cursus - elle n'en oublie pas moins d’où elle vient et le chemin parcouru.

Seul son accent persan peut trahir ses origines. Née au Kurdistan iranien en 1987, elle quitte en 2005, à 17 ans, sa région natale après l'assassinat de son père et de son frère. Poussée sur les routes de l'exil, elle s'arrêtera vivre en Irak, un an et demi, puis traversera la Syrie, la Turquie, la Grèce, l'Italie pour arriver en France en 2007. Une période douloureuse. « L'angoisse m'a suivie. Tout était incertain », se rappelle-t-elle.

Réfugiée le 5 septembre 2007 à 9 h 05

Arrêtée dans le département de la Manche en tentant de rejoindre l'Angleterre, elle sera envoyée dans un centre de rétention près de Rennes. « Je ne connaissais ni le mot association, ni celui de droit d'asile. Je ne pensais qu'à avancer », raconte-t-elle. À bout de force, déracinée, elle choisit de déposer une demande pour rester en France. Le 5 septembre 2007 à 9 h 05, précisément, Mariam obtient officiellement un statut de réfugié et un titre de séjour, sa planche de salut.

Physiquement, il ne reste plus rien de cette tranche de vie stressante et violente. Loin du carcan politico-religieux de son pays d'origine, c'est une jeune femme aux longs cheveux châtains, un maquillage soigné et des vêtements colorés que l'on découvre ici dans la Cité des Ducs. Ambitieuse, elle a décidé d'unir son futur à la médecine et à l'aide de son prochain.

Immersion en PACES incognito

Pourtant elle ne songeait pas un instant atterrir à la fac de médecine. En Irak, Mariam voulait devenir ingénieur informatique. Son vœu se réalisera sur le territoire français mais pas sans obstacles. À l’époque, elle maîtrise imparfaitement la langue de Molière. « Tous les jours j'allais à la fac de Rennes et j'insistais pour être intégrée », témoigne-t-elle, en souriant. La roue finit par tourner. Elle rejoindra une prépa pour effectuer une école d'ingénieur dont elle sortira diplômée en 2013 à 25 ans. Dès l'année suivante, elle monte Aptatio, une start-up d'ingénierie et de design axée sur l'impression 3D avec deux autres personnes. « Je travaillais sur des projets liés au monde médical, j'ai eu envie de découvrir ce domaine », explique-t-elle, simplement.

L'idée d'une reconversion fait son chemin, pendant deux ans. Son désir de découvrir la santé est tel qu'elle s'immisce sans autorisation dans des cours de première année commune aux études de santé (PACES) sur les bancs de la fac de Nantes. Le culot paiera puisqu'elle ira même suivre des TP mais cette fois-ci avec l'aval des professeurs. Le déclic arrivera lors d'un stage de découverte d'une semaine auprès d'un chirurgien ORL Rennais « le premier à penser que j'étais capable de devenir médecin ». « J'étais fascinée, j'arrivais enfin à me projeter dans un métier. Je ressentais la gratification des patients envers leur médecin. Ça a confirmé mon intérêt », reconnaît-elle. Ses contacts lui permettront de venir découvrir le temps d'une journée le service des urgences-réanimation de Nantes. Convaincue, elle déposera un dossier « passerelle » pour intégrer le cursus de médecine sans passer par la case PACES.

L'altruisme, pierre angulaire de son choix

En attendant la réponse du jury de la fac de médecine, la jeune femme âgée de 26 ans retrouve le chemin de la vie professionnelle dans une nouvelle entreprise… Elle n'aura pas le temps d'y rester, Médecins sans Frontière la contacte pour une mission d'interprète dans le camp de migrants de Grand-Synthe (Nord). En plus d'être brillante, courageuse et culotée, Mariam est polyglotte. Elle manie aisément à l'écrit comme à l'oral, son dialecte kurde iranien, irakien, l'anglais, le français et possède des bonnes notions d'arabe. Pendant cinq semaines, elle traduit les consultations de médecine générale, psychiatrie et gynécologie en kurde et en perse. Un moment « déterminant pour mon avenir », définit-elle. Ça me touchait de leur venir en aide. Et puis, c'est un rappel à mon propre passé, celle d'être une vagabonde, malade et sans papiers. »

Être un bon médecin, plutôt qu'en haut du classement ECN

En septembre 2016, c'est le jour J. Mariam entre en médecine avec six autres personnes. Tous sont issus d'un autre corps de métier et viennent poursuivre des études de médecine. Un aménagement spécial s'opère tout au long de l'année. Le rythme est intense. Il faut rattraper le retard sur les autres carabins. Pour Louis, l'un de ses camarades, Mariam est une jeune femme hardie. « Si on arrive là on est déterminé. On porte également un autre regard sur la médecine », explique-t-il.

Ce premier plongeon est difficile reconnaît l'intéressée. « Je ne suis pas la meilleure étudiante mais j'ai une vision mature, je veux être un médecin compétent et non être en haut du classement grâce aux notes », confie-t-elle. Elle bûche sans relâche chez elle et s'octroie peu de sorties, encore moins de tonus. Elle le dit elle-même, elle a un côté solitaire. Son cercle d'amis elle l'a établi à l'école d'ingénieur. Estelle, une amie issue du cursus "classique" de médecine salue également la détermination de la jeune femme : « On s'est aidé mutuellement pour des cours de neuroanatomie. Mariam est indépendante. Elle s'assume entièrement. Elle n'a jamais peur de donner son avis. Son parcours l'a rendue tellement forte », décrit-elle, avec admiration.

Début d'année scolaire 2017, c'est le grand bain. L'externat débute. Elle réalise son premier stage dans le service de médecine physique et réadaptation - neurologie. Le côté diagnostic lui plaît. La proximité avec les proches des patients est, en revanche, plus difficile à appréhender. « La distance avec les patients c'est ce côté-là que j'apprends », commente-t-elle. Son choix de spécialité n'est pas arrêté. Elle désire exercer une discipline alliant la pratique médicale et la proximité avec le patient. Et surtout une spécialité qui s'exercera aussi « dans l'humanitaire ».

Mais encore une fois ce n'était pas suffisant pour elle. Mariam jongle également avec un travail d'interprète pour une entreprise française souhaitant s'implanter sur le sol iranien. « Je ne peux pas me concentrer sur une seule chose, résume-t-elle. Je ne dis jamais non aux opportunités. »

S.M.

Source : Le Quotidien du médecin: 9624
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