VIES DE MEDECIN

Patrick Bouet : la discrète ascension d’un praticien déterminé

Publié le 27/01/2014
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Par pudeur, il n’est pas du genre à se mettre en avant. Mais le nouveau président de l’Ordre des médecins n’est pas non plus homme à reculer, ni à cacher ce qu’il pense. En décembre dernier, Patrick Bouet a ainsi mis les pieds dans le plat au congrès de l’hospitalisation privée, jugeant haut et fort que la formation des médecins n’était plus adaptée au monde d’aujourd’hui.

L’influence du « neuf-trois »

Âgé de 58 ans, médecin généraliste de secteur II à Villemomble (« dans le neuf-trois », aime-t-il répéter), le Dr Bouet est de ces praticiens qui ont débuté très tôt une carrière ordinale discrète mais efficace. Après ses études de médecine (voir encadré), il s’installe en 1984 dans un cabinet de groupe où il exerce encore aujourd’hui. Dès 1989, il se présente à l’Ordre de Seine-Saint-Denis (93). « J’étais persuadé d’échouer, confie-t-il, mais j’ai été élu conseiller d’emblée. »

Le « neuf-trois » n’a pas été un choix. Son père, militaire, a commencé sa carrière à Saumur dans le Maine-et-Loire où lui-même est né. Mais les aléas de la carrière l’amènent rapidement en Seine-Saint-Denis, département que le praticien n’a jamais plus quitté. Ce département a-t-il façonné son caractère jusqu’à en faire l’homme de gauche que certains décèlent en lui ? L’intéressé dément, jurant être au service de l’Ordre et de rien d’autre.

Son prédécesseur, le Dr Michel Legmann, semble en revanche croire au déterminisme géographique. « Issu de Seine-Saint-Denis, un département défavorisé, Patrick Bouet a une sensibilité politique différente de la mienne », croit savoir celui qui, proche de Nicolas Sarkozy, a exercé comme radiologue à Neuilly dans les Hauts-de-Seine.

Le « portefeuille » de la PDS

S’il sait se faire discret, Patrick Bouet n’est pas homme à regarder les trains passer. Dès 1995, le voilà élu président de l’Ordre départemental. Mais l’échelon ne suffit pas à ce boulimique de travail qui n’hésite pas, encore aujourd’hui, à faire des visites à domicile entre 6 h 30 et 8 heures du matin. Entré au conseil national dès 2003, il se fait élire dans la foulée à la présidence de la commission de la permanence des soins. Un sujet brûlant à l’époque.

À ce poste, Patrick Bouet accompagnera, parfois à contrecœur, les mutations de la permanence des soins : volontariat, rémunération, redécoupage des secteurs, réécriture de l’article 77 et réduction des plages horaires. « Dix ans après, résume-t-il pensivement, ce qu’on pouvait craindre à l’époque s’est produit : déréguler un système qui était basé sur l’obligation a généré un certain nombre de problèmes qu’il a fallu apprendre à gérer. »

Le volontariat n’est apparemment pas sa tasse de thé : « Dans le métier de médecin, il y a un certain nombre d’engagements à respecter, et notamment la PDS. » Mais il se reprend vite : « Dans cette affaire, l’Ordre a fait corps avec son temps, et s’est adapté au fait qu’il fallait inciter les médecins, et non plus contrôler leur respect de la réglementation. »

Un généraliste à la tête de l’Ordre

Discret mais déterminé, Patrick Bouet occupe à partir de 2009 la fonction de délégué général aux relations internes, un poste stratégique. Il lui permet de se « déplacer dans les régions et les départements, reconnaît-il lui-même, et de comprendre l’ensemble des problèmes rencontrés sur le terrain ». Et accessoirement, de tisser des liens utiles avec de futurs électeurs.

Mission accomplie : en juin dernier, à l’issue d’une campagne feutrée mais efficace, le voilà élu à la tête de l’institution. « Me présenter est une décision qui a mûri petit à petit, car au départ ça me paraissait improbable pour un généraliste », jure-t-il. Un élu national assure cependant que « ce n’était pas par hasard qu’il avait choisi cette fonction de délégué général aux relations internes. Il savait où il allait ». Un autre, élu départemental, est presque admiratif : « Il fallait y croire pour viser la présidence quand on est généraliste. Il faut y penser tout le temps, et pas seulement en se rasant le matin. »

Relativement autoritaire

Michel Legmann, apporte son éclairage sur cette élection. Lui qui a fait passer le nombre de conseillers ordinaux nationaux de 43 à plus de 50, rappelle que ces nouveaux postes, qui sont autant de nouveaux électeurs, ont été occupés majoritairement par des généralistes. « Ça a facilité son élection », juge-t-il. Pour Patrick Bouet, il n’est pas avare de compliments : « Il travaille beaucoup, note-t-il, il est relativement autoritaire mais il faut l’être à ce poste, il sait se faire respecter, il a l’esprit de compagnonnage et il est diplomate. »

À la tête de l’institution, le nouveau président n’a pas changé grand-chose à ses anciennes habitudes, et continue à exercer trois demi-journées par semaine. « Rester en contact avec les patients et l’assurance-maladie, c’est autant de stimulations permanentes qui entretiennent ma conviction et mes connaissances », assure-t-il.

L’homme a de l’entregent. En décembre dernier, il a été reçu successivement par François Hollande puis par Marisol Touraine. D’autres n’ont pas eu cet honneur. S’il est trop tôt pour parler de son empreinte dans l’institution, il ne manque pas de projets, comme ce pôle patients qu’il met en place, « pour bien montrer que l’Ordre, c’est aussi l’intérêt des patients ».

Une dimension spirituelle

Les syndicalistes lui trouvent bien des qualités. « Il a une personnalité bien plus affirmée que ne laisse penser son apparence », analyse le Dr Michel Chassang. Le président de la CSMF lui trouve même « une dimension spirituelle ».

Le bouillant Jean-Paul Hamon, président de la FMF, s’est lui aussi laissé séduire. « C’est un gars que je connaissais mal avant son élection, rappelle-t-il, mais je l’aime bien. » Ce qu’il apprécie par-dessus tout chez lui, c’est que ses récentes prises de position « sur la formation, sur le contrat d’accès aux soins, ou sur la démographie médicale sont courageuses et sans ambiguïtés ».

L’aquarelle en héritage

Quand on l’invite à parler de lui, Patrick Bouet esquive avec un fin sourire. « Je suis un médecin ordinaire qui a la chance d’avoir une vie extraordinaire. » Mais il ne se dévoile guère. Il faut insister pour apprendre qu’il est marié et qu’il a deux enfants. Insister encore pour qu’il précise que lors de ses rares moments de liberté, il s’évade dans sa maison de l’Île d’Oléron.

Et puis d’un coup, il se lâche et ajoute qu’il s’y adonne à l’aquarelle, son péché mignon depuis toujours. Cette passion lui vient de son beau-père. « Je lui dois beaucoup, et notamment sa fille », dit-il avec ce sourire fugace qui le caractérise, un sourire qui apparaît sur son visage aussi vite qu’il en disparaît.

Henri de Saint Roman

Source : Le Quotidien du Médecin: 9296
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