Vies de médecin

François Desgrandchamps : en marche

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Publié le 09/08/2017
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

C’est un tourbillon calme. Le chef du service d’urologie de l’hôpital Saint-Louis, à Paris, cumule les fonctions et les passions. Son curriculum vitae couvre sept pages. Ses « Titres et travaux », trente-trois pages. Le Pr François Desgrandchamps se consacre (beaucoup) à ses patients – jusqu’à quatre-vingt par semaine, dont plus de la moitié sont atteints de cancer. Il est aussi directeur de recherche translationnelle au Centre d’énergie atomique (CEA) où il se concentre, non sur la tumeur elle-même, mais sur les relations entre l’hôte et la tumeur. Il forme et enseigne ; publie dans maintes revues scientifiques. Il a créé des applications médicales pour Smartphone (1), écrit le script d’une bande dessinée sur l’adénome de la prostate, réalisé un livret de « Recettes pour l’homme, idées savoureuses pour une prostate saine » qu’il offre à ses malades, « enfin, plutôt à leur femme… ». Il collectionne les médailles et il a la reconnaissance de ses pairs. Il dit simplement qu’il en est fier, mais pas de quoi fouetter un chat. Il concède qu’il a un emploi du temps bien rempli mais qu’il est bien organisé. Il nous reçoit dans son bureau de l’hôpital. À l’heure et détendu.

Des émotions et des élans

La haute stature et la blouse blanche en imposent mais la voix est chaude, amicale. François Desgrandchamps est content de parler de son dernier ouvrage « Compostelle, recettes du chemin ». Dans ses livres – « Littérature et gourmandise », « Lettres gourmandes des terres lointaines », « Cuisine à bord : les plus beaux voyages gastronomiques »… –  il met ses émotions ses élans, ses goûts. Il en a beaucoup. De sa maman, excellente cuisinière, lui vient le goût des plats qui mijotent, qui laissent du temps avec ceux qu’on aime. Le temps du partage. Lui réussit bien le bœuf-carottes et les terrines de foie gras.

De son papa, hypocondriaque chronique – «  Mon père avait toutes les maladies, vraiment » – il a appris l’écoute, la patience, la bienveillance. Une sorte de goût des autres. « Il n’y a pas une personne qui ne soit digne d’intérêt. Il faut juste trouver la clé. Tout le monde a une serrure », explique le médecin altruiste. De sa sœur aînée, khâgneuse, il a reçu le goût de la littérature, de la culture. Elle avait des tonnes de bouquins et le jeune François, étudiant en médecine (« je bossais, bossais, bossais »), devait se contenter des quatrièmes de couverture. Il y avait de la frustration.

Aujourd’hui, le chirurgien-auteur prend sa revanche. Il a parsemé son livre sur Compostelle de phrases de philosophes, de penseurs, de marcheurs. Comme celle-là, par exemple, d’Antoine de Saint-Exupéry : « Ce qui sauve, c’est de faire un pas. » Il en a fait plus d’un.

Partir, « une évidence »

Un jour de l’hiver 2009, ce père de famille a mis femme, enfants et patients entre parenthèses. Il est parti, pour un voyage intérieur, sur le chemin de Compostelle. L’ancien Petit Chanteur à la Croix de Bois confesse être croyant, mais « gentiment croyant » et même s’il écrit dans la préface de son livre que « Dieu n’est jamais loin », ce n’est pas le Très-Haut qui l’a convaincu de marcher ici-bas. « On ne sait pas pourquoi on part, mais un jour, cela s'impose, c’est une évidence. » Voilà, ne cherchez pas, c’est comme ça.

Prévoyant, il a commencé par marcher de chez lui jusqu’à l’hôpital avec ses chaussures de randonnée, tous les jours, pendant un mois (cinq bons kilomètres). Un pèlerinage, c’est (d’abord) le pied. Pour le reste, il dit qu’on a besoin de rien. C’est connu des tous les pèlerins, le poids du sac, c’est le poids de la peur. Peur d’avoir froid, faim, soif… Une jolie parabole de l’existence qui bien sûr séduit le médecin : « Pourquoi prendre trois pulls quand un seul suffit ? Nous sommes tous de grands inquiets pathologiques. Nos excès traduisent nos peurs. Or, plus nous nous allégeons, plus nous progressons sans encombre. » D’ailleurs, rappelle-t-il, le pape Jean-Paul II l’avait dit : « N’ayez pas peur ! »

Donc même pas peur. François Desgrandchamps a choisi la voie du Puy, peut-être l’itinéraire le plus ancien, empruntée par Godescalc, l’évêque du Puy en l’an 950 (ou 951, on ne va pas chipoter) jusqu’au tombeau de l’apôtre Jacques Le Majeur, à Compostelle. Mille sept cents kilomètres que le professeur a dû, bien obligé, saucissonner en étapes d’une quinzaine de jours sur plusieurs années, repartant, à chaque fois, de l’endroit abandonné le coup d’avant. On peut le faire comme ça, le chemin ? Il sourit. Il sait être fataliste. Il s’en fiche un peu des sarcasmes des jacquets purs et durs, parmi lesquels Jean-Christophe Ruffin, autre médecin-pèlerin, auteur du best-seller « Immortelle randonnée ». Eux ne conçoivent le chemin que d’une traite, et sales et pouilleux, c’est encore mieux. « En une ou plusieurs fois, à partir de là ou d’ailleurs… qu’importe. L’important, c’est le chemin », se justifie le chirurgien. Déguster Compostelle par petits morceaux, ça a ses charmes.

Concept sacrilège

« Allez-y, c’est tout droit ! », lui a dit l’homme d’Église en lui ouvrant grand les lourdes portes sculptées de Notre-Dame de l’Annonciation, la cathédrale romane du Puy-en-Velay. François Desgrandchamps s’en souvient comme si c’était hier. Il a marché, dans la brume, dans la neige même. Il n’y avait pas foule. Il a eu quelques frayeurs et des tas de bonheurs. Comme ce noël 2009 qu’il a fêté, avec son sac à dos, autour d’un aligot fameux. L’idée du livre a vite fait son chemin. Le concept était pourtant un tantinet sacrilège. Raconter par le menu, illustrée de superbes recettes, une voie millénaire arpentée par des marcheurs en quête de solitude, de spiritualité ou d’on ne sait trop quoi, mais en tout cas d’ascèse, n’allait pas de soi. Et pourtant si. François Desgrandchamps a marché les yeux grands ouverts, la curiosité aux aguets. Il dit que le chemin est généreux, qu’on y trouve tout : des vieux ponts, des océans d'herbes, des vignes miraculeuses, des légendes tenaces, des émotions à foison et, même, quelques illuminations. La récolte est dans son livre (voir encadré).

Aujourd’hui, sept ans après le premier départ, François Desgrandchamps a atteint Sahagun, en Espagne. Il lui reste une étape. La dernière. C’est bien tout le problème. Dieu sait pourquoi, ce n’est plus jamais le moment, l’agenda est complet, Sahagun, c’est diablement compliqué à rallier…

Le professeur Desgrandschamps n’est pas naïf. Ce ne sont que des alibis. Simplement, il n’a pas envie de voir le bout du chemin. Il veut continuer à avoir rendez-vous avec lui-même. À marcher avec le seul poids du sac à dos. Fier d’être presque rien, juste un pèlerin. Le chemin des franciscains, de Vezelay à Assise, ça le tente bien. Il est déjà en marche. Vers d’autres rêves et, on l’espère, d’autres livres. Ultreïa !

 

(1) Kcalme, compteur de calorie en 3D et Mictionary, calendrier mictionnel
(2) « Une affaire d’hommes », éditions Narratives


 

Article initialement publié le 7 juillet 2017

 

Valérie Bouvart

Source : lequotidiendumedecin.fr
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