Par Céline Santran
Pas question de parler de cette histoire de motoneurone à Pierre, avait décidé Gaspard sur le chemin du retour. Pour qu’il fonce illico googliser ses angoisses et l’abreuver d’informations toutes plus alarmantes les unes que les autres, pas question !
– Je suis sûr que tu me caches quelque chose, lança Pierre, l’œil inquisiteur.
– Mais puisque je te dis que non ! Je dois juste prendre rendez-vous avec un autre professeur au CHU. Tiens, si ça peut te rassurer, viens avec moi, tu verras qu’il n’y a pas de quoi s’en relever la nuit et tu arrêteras de psychoter ! Par contre, j’ai bien réfléchi pour l’Uruguay : je veux absolument y aller avec toi. C’est ma quête, ma raison d’être, je dois y aller !
Pierre poussa un profond soupir et opta pour la franchise :
– Papa, je pense que si les médecins te baladent comme une boule de flipper depuis une semaine, c’est que tu as forcément quelque chose, sinon ils t’auraient déjà renvoyé bêcher tes rosiers. D’ailleurs je n’osais pas t’en parler, mais depuis quelque temps, je trouve que tu as moins d’appétit. Tu manges moins, je me demande si tu n’as perdu un ou deux kilos. Tu me diras, avec la bouée que tu avais, tu ne vas pas t’en plaindre !
Gaspard tâta sa bedaine, l’air faussement offusqué.
– Mais trêve de plaisanterie, poursuivit Pierre. Pour moi, tu as sans doute quelque chose mais ça ne doit pas être bien grave, ça ne peut pas être grave, tu n’as jamais fait d’excès, jamais eu de problèmes de santé, donc si problème il y a, il doit pouvoir se résoudre. Alors on va faire un marché : tu te fais soigner pendant que je pars en Uruguay et quand je rentre, tu es comme neuf !
– Et si c’est grave, docteur ? siffla Gaspard.
– Eh bien, si c’est gravissime, du genre à ne pas s’en remettre ou pire, à convoquer monsieur le curé en urgence… Pierre sourit en levant les bras, histoire de dédramatiser la situation. Eh bien là, oui, foutu pour foutu, je t’emmène avec moi en Uruguay !
En vérité, le père comme le fils n’en menaient pas large. Ils avaient beau se dire que la médecine pouvait aujourd’hui faire des miracles, il leur tardait à l’un comme à l’autre de savoir. La veille du rendez-vous au CHU, Gaspard tenta de masquer sa gêne à table mais il avait de plus en plus de mal à déglutir normalement. Et Pierre avait raison : même s’il n’osait pas monter sur la balance, il se sentait flotter dans ses pantalons.
*
Lorsque le professeur Villard examina les résultats de l’électromyogramme, il comprit vite qu’il n’y aurait pas besoin de ponction lombaire pour confirmer le diagnostic.
– Vous dites que vous avez du mal à déglutir et que l’hypersalivation vous gêne de plus en plus pour parler.
Gaspard hocha la tête. Il semblait perdu dans ses pensées.
– Avez-vous du mal à prononcer certaines lettres ?
La question fit à Gaspard l’effet d’un électrochoc.
– Mais oui ! C’est vrai, maintenant que vous le dites, les « lx » par exemple, vous voyez « lx », tenta-t-il d’articuler.
Le professeur choisit de raccompagner Gaspard au secrétariat, prétextant des papiers à remplir, et demanda discrètement à Pierre, resté dans la salle d’attente, de le suivre dans son bureau. Il n’y avait pas trente-six manières d’annoncer la nouvelle : Gaspard était atteint d’une Sclérose Latérale Amyotrophique, à ce jour aucun traitement, aucune guérison possible.
Lorsqu’il retrouva son père en train de jouer les charmeurs auprès de la secrétaire, Pierre rassembla ses dernières forces pour murmurer : « Allez viens Papa, on part à Montevideo… »
Prochain épisode dans notre édition du 13 novembre
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