Par Céline Santran
SLA. Sclérose Latérale Amyotrophique. Aussi appelée maladie de Charcot.
Pierre avait encore en mémoire presque mot pour mot tout ce que le professeur Villard lui avait dit. Son père avait une forme bulbaire – plutôt rare – de SLA. Pierre avait souri. Avoir une forme rare d’une maladie rare, ça voulait dire quoi ? Que sur cent patients atteints, seuls environ vingt pour cent présentent une forme bulbaire de la maladie. Sachant que la SLA touche environ quatre personnes sur cent mille, ça faisait quoi, vingt pour cent de quatre pour cent mille ? La même chance de gagner qu’à l’Euromillion. Gaspard était donc verni de chez verni, il avait décroché la timbale en platine sertie de diamants. La suite ? Le professeur avait brossé un tableau clair, net et précis : les neurones moteurs qui contrôlaient la parole et la déglutition allaient progressivement s’arrêter de fonctionner, il faudrait rapidement envisager une gastrostomie afin que Gaspard puisse être alimenté directement par une sonde placée au niveau de l’estomac. Puis viendrait le tour des autres neurones moteurs : mains, bras, jambes. Pharynx, larynx, poumons. Rideau. Et au revoir m’ssieurs dames. L’espérance de vie ? Impossible à dire, l’expérience avait montré que la survie allait de quelques mois seulement, dans le cas d’une évolution rapide de la maladie, à plusieurs années, cinq, dix ans même chez certains patients, qui se comptaient cependant sur les doigts d’une seule main.
Survie… Pierre avait répété le mot plusieurs fois. Oui, c’est vrai, il fallait s’y faire, désormais, on ne parlerait plus de vie.
Du coup, la quête que son père avait poursuivie depuis tant d’années prenait un sens différent. Même si la SLA et ce qu’elle impliquait paraissaient encore irréels à Pierre comme à Gaspard, ils ressentaient tous deux une urgence à achever leur mission, et paradoxalement, cette quête vitale sembla donner des ailes à Gaspard. C’est en tout cas ainsi qu’il voulait voir les choses même si, une fois le terrible diagnostic posé, il eut cette sensation étouffante que la maladie explosait d’un coup, révélant ainsi pleinement son existence.
Le père et le fils s’envolèrent donc pour l’Uruguay en espérant, comme ils l’avaient fait lors de leurs précédents voyages, que ce périple serait le dernier. Le bon. Mais une fois sur place, tout se compliqua. Non seulement l’homme traqué avait une fois de plus disparu mais Gaspard se sentait faiblir de jour en jour. Il mit d’abord cela sur le compte du traitement, qui n’en était pas vraiment un mais qui était le seul que les médecins pouvaient à ce jour proposer, à base de Rilutek et de Toco, et qui pouvait, au mieux, ralentir l’évolution de la maladie. « Ralentir tu parles », avait maugréé Gaspard avec cette impression de parler la bouche pleine de chamallows. Et ces repas que désormais il appréhendait. Lui qui ne s’était jamais laissé impressionner par une côte de bœuf ou un cassoulet au confit, voilà qu’il avait toutes les peines du monde à avaler le plus petit morceau de viande. Il fondait à vue d’œil. Pierre sentait la panique le gagner. À ce rythme-là, il ne tiendrait pas longtemps.
Et puis dans les pires malheurs, il y a parfois des petites lucioles qui s’allument, lueurs évanescentes qui se posent au chevet d’un mourant comme pour se faire pardonner et réparer une injustice, avant qu’il ne soit trop tard. Ainsi, la veille de leur retour en France, Pierre reçut enfin une information capitale et rentra en courant à l’hôtel, rempli d’espoir.
Prochain épisode dans notre édition du 20 novembre
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