Par céline Santran
Gaspard n’était pas né de la dernière pluie. Lorsqu’il avait téléphoné pour prendre rendez-vous avec le neurologue que lui avait indiqué son généraliste, à peine s’était-il présenté que la secrétaire avait lâché un « ah oui… » qui lui avait mis la puce à l’oreille. De là à penser que le docteur Simounet avait demandé à son confrère de le recevoir en urgence, il n’y avait qu’un pas… qu’il avait franchi avec angoisse en entendant la secrétaire lui proposer un rendez-vous dès le surlendemain alors qu’il savait le neurologue réputé, donc très demandé.
– Je ne comprends rien à cette histoire, lança Gaspard en entrant dans le bureau du professeur. Je suis sûr que je vous fais perdre votre temps. Cette histoire de salivation, c’est un coup de ma dentiste, j’en suis sûr. Je l’adore pourtant mais bon, elle y a été un peu fort en piquant lors de l’anesthésie, un point c’est tout !
– Je suis justement là pour vérifier tout ça ! répondit le professeur Mangin en invitant Gaspard à s’installer au fond de la pièce, derrière le paravent, pour un examen plus approfondi.
Trois quarts d’heure plus tard, le professeur avait perdu son sourire et son air avenant. Le résultat de l’électromyogramme était sans appel mais même s’il était chaque jour confronté à la mort, tout docteur qu’il était, il se trouvait toujours le plus médiocre des psychologues lorsqu’il s’agissait d’annoncer une fin proche, sans aucun espoir de guérison.
– Alors, docteur, grogna Gaspard en se rhabillant, j’avais raison, non ?
Le professeur se pinça le nez à plusieurs reprises, comme à chaque fois qu’il tentait de dissimuler – mal, très mal – son inconfort.
– Je pense que votre problème n’a rien à voir avec votre visite chez le dentiste… L’électromyogramme montre en effet un dysfonctionnement du motoneurone et…
– Motoneurone, l’interrompit Gaspard en fronçant les sourcils, c’est quoi, ce truc ? C’est Parkinson, c’est ça ?
« Si ce n’était que ça… » songea le professeur. Conscient que son patient était déjà dans un état de stress élevé, il n’eut pas le courage de poursuivre. Après tout, il n’était pas question d’une course contre la montre avec une chance, aussi infime soit-elle, de s’en sortir. Sachant l’issue inéluctable, il opta pour une annonce de la terrible nouvelle le plus tard possible. Certains le jureraient lâche, d’autres tout simplement humain.
– Écoutez monsieur Nakache, comme je ne suis pas sûr à cent pour cent, je préfère vous orienter vers un confrère du CHU. Je lui transmets les résultats de l’électromyogramme et s’il le juge utile, il vous fera une ponction lombaire. Cela nécessite quelques jours d’hospitalisation mais c’est l’ultime test. Après ça, nous serons définitivement fixés.
Gaspard secoua la tête en faisant tourner ses yeux à la manière d’un automate :
– Et vous aurez enfin un diagnostic sûr ? Non parce que je grimpe, je grimpe, de médecin en spécialiste, de spécialiste en grand ponte et à ce rythme-là, dans un mois je finis entre les mains du prix Nobel de médecine, mais je ne saurai toujours pas ce que j’ai !
Le professeur Mangin ne put s’empêcher d’éprouver une infinie compassion pour ce vieil homme au caractère bien trempé qui était bien loin de s’imaginer ce qui, malheureusement, l’attendait. Fallait-il briser tout de suite, là, maintenant, les rêves, les espoirs, la vie tout court d’un être humain si touchant ? Non, vraiment, la vérité toute nue, dégoulinante de souffrance et de crasse injustice, cette vérité-là pouvait bien attendre encore quelques jours.
Prochain épisode dans notre édition du 6 novembre
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