Article réservé aux abonnés
Dossier

12e Congrès de la médecine générale France

Le défi des violences faites aux femmes

Publié le 20/04/2018
Le défi des violences faites aux femmes

12e CMGF
GARO/PHANIE

Grand rendez-vous annuel de la discipline, le congrès de la médecine générale s’est tenu à Paris au début du mois. Très tournée sur le patient, cette 12e édition a aussi été l’occasion d’aborder le versant médical de certains enjeux sociétaux comme les violences faites aux femmes, la lutte contre l’alcoolisme ou encore la prise en charge des victimes d’attentats. Retour sur trois jours de congrès riches en enseignements. 

La lutte contre les violences faites aux femmes a été un des thèmes phares du récent Congrès de la médecine générale (Paris, 5 -7 avril), avec plusieurs communications orales et une séance plénière dédiées. « Nous devons faire face à cette problématique pour être dans notre rôle habituel de prévention, de repérage, de prise en charge », a insisté le Dr Catherine Laporte, présidente du comité scientifique du CMGF, au cours de la session d’ouverture de cette 12e édition. « La violence sexiste est un vrai sujet de santé publique qui nécessite de se mobiliser sur le champ », a ajouté le Pr François Bourdillon, président de Santé publique France, lui aussi présent en ouverture du CMGF.

Une violence polymorphe

Cette violence est polymorphe : spirituelle (incluant l’interdiction d’accéder à une contraception), physique, sexuelle, psychologique, etc.

Le rapport Henrion de 2001 préconisait que les généralistes posent systématiquement trois questions : « Au cours de votre vie, avez-vous été victime de violences verbales, propos sexistes, humiliants, dévalorisants, injures, menaces ? De violences physiques, coups, gifles, été battue ou bousculée ? De violences sexuelles : attouchements, viols, rapports forcés ? » Ces questions sont généralement bien acceptées. Mais, comme l’explique le Dr Pauline Malhanche (Clermont-Ferrand), auteur du site declicviolence.fr, la parole peut être tue. C’est en particulier le cas pour les victimes de violences conjugales, qui pourraient représenter jusqu’à trois voire quatre femmes sur dix en soins primaires. Presque la moitié des viols sont perpétués par le partenaire (ou ex-partenaire) et 123 femmes sont mortes en 2016 à cause de la violence conjugale.

Des signaux d’alerte

Lorsque la patiente ne parle pas, des drapeaux rouges peuvent interpeller le généraliste. Il peut s’agir d’une patiente pratiquant le nomadisme médical, ou surconsommant les soins : troubles somatoformes, symptômes inexpliqués (douleurs chroniques, asthénie, troubles du sommeil, traumatismes répétés), dépression, pathologies gynéco-obstétricales type dyspareunie, grossesses non désirées, fausses couches, IST répétées, métrorragies. Cette femme peut avoir une mauvaise observance thérapeutique conduisant à l’aggravation d’une pathologie chronique, si bien que l’espérance de vie des patientes victimes de violences conjugales serait diminuée de quatre ans. Elle peut sembler anxieuse, déprimée, triste. Les addictions (alcool, tabac, anxiolytiques surtout) et les troubles du comportement alimentaires sont plus fréquents.

Plus évocateur encore, cette patiente “difficile” qui oublie des rendez-vous ou arrive en retard, et semble ne pas consulter quand la situation l’aurait justifié. Peuvent s’y associer une attitude pressée voire un départ précipité de la consultation, typique d’une situation où la victime ne peut consulter qu’en cachette, lorsque son partenaire est absent. Mais parfois, celui-ci est présent : il donne l’impression d’être trop « prévenant », de répondre à la place de sa compagne et de la contrôler par des attitudes intimidantes. La périnatalité est une situation très à risque puisque 40 % des violences conjugales démarrent lors de la 1re grossesse.

Anesthésie émotionnelle

Le médecin est souvent désemparé par le fait que la femme dise « ne pas savoir décrire » ce dont elle a été victime. Cela pourrait leur être préjudiciable dans le dépôt de plainte. Le rôle de l’omnipraticien est ici crucial : faire le lien entre les symptômes et les violences subies. Le Dr Michèle Salmona a décrit les mécanismes psychotraumatiques (confirmés par des données neurobiologiques et d’imagerie), de dissociation et d’anesthésie émotionnelle qui conduisent la victime à ressentir un sentiment d’irréalité, de dépersonnalisation face aux violences subies: elle est spectatrice de la scène, voire absente. « Le traumatisme provoque une paralysie brutale des circuits émotionnels et de la mémoire ; c’est un mécanisme de sauvegarde exceptionnelle ». Les réminiscences intrusives lui font revivre sans fin les violences, entraînant un sentiment de danger, face auquel elle a recours à des sédatifs (alcool, hypnotiques, anxiolytiques).

On observe en moyenne six « faux départs », à l’issue desquels la femme retourne vers l’agresseur... pour se remettre sous son emprise – facilitée par l’anesthésie émotionnelle et physique – et éprouver la dissociation plutôt que les réminiscences : c’est la « colonisation psychique ».

Le Dr Humbert de Fréminville (médecin généraliste et légiste) exhorte les généralistes a détailler ces mécanismes d’emprise sur leurs certificats descriptifs. à défaut, par méconnaissance de cette spirale, et devant une patiente qui revient vers son agresseur, les magistrats pourraient sous-estimer la gravité de la situation. Le légiste tient aussi à rassurer le médecin traitant quant à l’ITT, toujours délicate à apprécier : « La notion d’ITT ne s’applique qu’aux violences extra-familiales ; les violences conjugales sont toujours un délit. » Enfin, le certificat médical descriptif peut être établi avant ou après le dépôt de plainte, lequel ne peut jamais être refusé (article 15-3 du CPP).
 

Dr Julie Van Den Broucke