LE QUOTIDIEN - Les Français citent la santé au rang de leurs priorités. Pourtant, les programmes restent assez pauvres et souvent flous. Quel place accordez-vous à la santé et quel bilan dressez-vous du quinquennat Sarkozy ?
FRANÇOIS HOLLANDE - Je constate que les Français sont inquiets pour leur système de santé. Hier fierté nationale, il est aujourd’hui gravement menacé. Le bilan de Nicolas Sarkozy est lourd en la matière. Augmentation du reste à charge, renoncement aux soins, difficultés dans de nombreux territoires pour trouver un médecin, asphyxie de l’hôpital public et dégradation des conditions de prise en charge : les Français sont préoccupés d’avoir fait ces sacrifices alors que dans le même temps, le déficit de la Sécurité sociale s’est accru. Sur ces sujets, mon programme est très clair et constituera un réel changement par rapport à cette politique de déconstruction de notre système de santé.
Quelles sont vos priorités pour réduire le déficit de l’assurance-maladie ?
D’abord, il faut consolider les recettes, en supprimant des niches sociales et en mettant à contribution l’ensemble des revenus. Ensuite, des économies sont nécessaires, par exemple sur le médicament. Enfin, des réformes de structures s’imposent : une meilleure organisation des soins, plus fluide, bâtie autour des parcours des patients rendra le système plus efficace et plus économe, notamment en reconnaissant mieux les soins de premier recours.
L’Objectif national de dépenses d’assurance-maladie (ONDAM 2012) a été fixé à 2,5 %, un objectif volontariste. Ce taux ne vous convient pas...
Cet ONDAM 2012 à 2,5 % est un affichage politique peu réaliste. Si nous voulons maintenir la qualité de notre système de santé en ville et à l’hôpital, il me semble plus pertinent de l’envisager autour de 3 %, si l’on veut pouvoir investir pour moderniser l’hôpital et la médecine de ville. Sans ces investissements, notre système de santé sera durablement fragilisé.
Les organismes complémentaires ont-ils vocation à prendre plus de place ?
La droite a maltraité les mutuelles avec des propos blessants, le passage en force sur le secteur optionnel et la nouvelle taxation des mutuelles. Les organismes complémentaires sont des acteurs de la protection sociale à part entière. Nous devons renouer le dialogue avec eux afin de mieux définir leur place et leur rôle.
Vous avez l’intention d’encadrer strictement les dépassements d’honoraires par spécialité et par région à l’issue d’une négociation rapide. Comment ?
Les dépassements d’honoraires sont devenus insoutenables pour les patients et conduisent à des renoncements aux soins. Ils sont aussi un élément majeur d’inégalité entre les professionnels de santé. Je souhaite donc qu’ils soient encadrés. Le secteur optionnel, qui est rejeté par tous, n’est pas une bonne réponse. Il crée un effet d’aubaine pour les petits dépassements et se désintéresse des gros dépassements. Je n’envisage pas de fermer le secteur II mais de rendre ce secteur moins attractif. Pour les abus de l’exercice privé à l’hôpital, je rejoins les préconisations avancées par l’appel des praticiens hospitaliers du secteur public.
Vous refusez la contrainte à l’installation et militez pour le développement des maisons et pôles de santé. Quelle différence avec l’actuelle politique du gouvernement ?
Le gouvernement a eu une attitude passive face aux problèmes de démographie médicale. Il n’a rien fait, ou presque, pour aider les jeunes médecins à s’installer et se regrouper. Ma vision est différente : je veux avoir une démarche active pour favoriser les mutations nécessaires. C’est par une politique d’aménagement du territoire et de coordination des soins à partir de la médecine de premier recours que je veux engager une démarche incitative.
Mais que contiendra exactement le plan d’installation des jeunes médecins que vous voulez lancer ?
Pour que les jeunes médecins s’installent dans les zones faiblement dotées, il faut d’abord renforcer l’obligation de stages en médecine générale dans ces zones. Je souhaite aussi que la part forfaitaire de la rémunération tienne compte du territoire. Enfin, j’instaurerai des guichets uniques qui accompagneront les jeunes médecins dans toutes leurs démarches et dans l’élaboration de leur projet médical.
Dans quelles conditions et à quel rythme souhaitez vous généraliser le tiers payant en médecine de ville ?
Je veux généraliser le tiers payant de manière négociée et progressive, d’abord avec les professionnels de santé volontaires, notamment dans les pôles et maisons de santé. Je souhaite que cela crée un effet d’entraînement.
Faut-il aller plus loin dans la rémunération forfaitaire et le paiement sur objectifs de santé publique ?
Oui, il faut étendre la rémunération forfaitaire, notamment pour mieux prendre en compte les actions de santé publique : prévention, éducation à la santé, suivi des maladies chroniques. Le paiement en fonction d’objectifs de santé publique doit se faire dans le cadre des bonnes pratiques et du juste soin, non dans une perspective purement comptable.
Vous avez évoqué « un nouveau pacte » avec le monde de la santé. Quels en sont les axes ?
La vie quotidienne des médecins s’est dégradée. Je ressens leur malaise lors de mes déplacements. La médecine libérale attire moins. Et je me souviens du fiasco de l’épisode de la grippe H1N1 où les médecins se sont sentis méprisés. Le pacte social que je veux nouer avec les professionnels vise à préserver le pluralisme des conditions d’exercice dans notre pays, à reconnaître aux praticiens leur vraie place dans la société, une rémunération à la hauteur de leur responsabilité et des conditions de travail améliorées.
Vous voulez fixer un délai maximum pour accéder aux soins d’urgence. Quelle sera la méthode ?
Actuellement une large partie de la population est à moins de 30 minutes des soins d’urgence. Restent 6 millions de personnes qui en sont plus éloignées. Plusieurs réponses sont possibles : création de nouveaux SMUR dans les zones les plus isolées, transports héliportés notamment dans les zones de montagnes et les territoires ultramarins.
Si vous êtes élu, quelles seront les règles du jeu en matière de tarification hospitalière ?
La convergence tarifaire installe une concurrence délétère et inflationniste entre le public et le privé. J’y mettrai donc fin. Les établissements publics et privés sont complémentaires, pas réductibles l’un à l’autre. Il faut conserver un financement à l’activité, l’adosser à d’autres critères que la seule activité : les missions sociales, la structure voire la localisation de l’établissement par exemple
Vous voulez donner la priorité à la jeunesse au cours de votre quinquennat. Comment cet objectif peut-il se traduire en matière de santé ?
Les inégalités sociales de santé se creusent dans notre pays. Elles se forment dès le plus jeune âge, où se développe le « potentiel santé » de chacun, où les bons comportements s’acquièrent. J’ai donc annoncé un plan national pour la santé des enfants et des adolescents, qui aura pour ambition de mieux prévenir l’obésité, de mieux dépister et prendre en charge les troubles sensoriels, neurocognitifs et les handicaps.
Il est aussi urgent de revaloriser la médecine scolaire, qui a été abandonnée. C’est pourquoi une part des postes créés dans l’Éducation nationale lui sera consacrée. J’ai aussi annoncé que je mettrai en place un
« forfait contraception » pour les mineurs, garantissant l’anonymat. Il y a encore trop de retard en matière d’éducation et d’information sexuelles et trop de jeunes filles ne peuvent accéder à la contraception.
Enfin, je souhaite qu’une part de la future loi sur la santé mentale s’occupe spécifiquement de la question de la souffrance psychique des adolescents.
Ne faut-il pas construire de meilleures relations avec les industries du médicament ?
L’industrie pharmaceutique contribue au progrès médical, en découvrant notamment de nouvelles molécules. Nous devons soutenir ces progrès. Mais c’est également un acteur avec lequel nous devrons discuter, notamment pour faire baisser la dépense de médicaments. L’industrie pharmaceutique demande des règles du jeu pérennes et une visibilité notamment en matière fiscale. Nous les redéfinirons, dans la perspective de les aider à innover, mais pas pour soutenir sur le marché des produits à visée commerciale, sans apport évident pour les patients. Cela me semble être une relation constructive et équilibrée.
JE SOUHAITE QUE LA PART FORFAITAIRE DE LA RÉMUNÉRATION TIENNE COMPTE DU TERRITOIRE
IL EST URGENT DE REVALORISER LA MÉDECINE SCOLAIRE, QUI A ÉTÉ ABANDONNÉE
Article précédent
Santé, social : le programme de François Hollande
Après l’hôpital, Marisol Touraine consulte les médecins libéraux
Dépassements, hôpital : Marisol Touraine annonce la couleur [VIDEO]
Premier discours, 4 engagements pour Marisol Touraine
Marisol Touraine choisit un hôpital public de Seine-Saint-Denis pour sa première visite officielle
Geneviève Fioraso, une spécialiste de l’innovation au ministère de la Recherche
Nicole Bricq, Une femme de caractère à l’écologie
Fourneyron, Delaunay, Cahuzac : un trio de ministres médecins
Marisol Touraine hérite d’un super ministère des Affaires sociales... et de la Santé
Ayrault nommé à Matignon : un partisan de la fermeté sur l’accès aux soins
Santé, social : le programme de François Hollande
Hollande : «Hier fierté nationale, le système de santé est gravement menacé »
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation