Par Céline Santran
— Vous avez devant vous un homme nouveau, et je vous assure que je pèse mes mots… Urbain avait parlé lentement, le regard dans le vague, comme absorbé par les reflets mordorés que renvoyait l’imposant bureau en loupe d’amboine du professeur Roseval.
Le cardiologue rajusta ses lunettes et regarda son patient l’air sceptique :
— Je ne comprends pas, ça n’a pas l’air de vous enchanter, quelque chose ne va pas avec votre pacemaker ?
Urbain gigota dans son fauteuil comme pour remettre de l’ordre dans ses idées :
— Pardon, je me suis mal exprimé. Je suis bien sûr soulagé d’être tiré d’affaire, vous pensez bien ! Ce que je voulais dire, c’est que toute cette histoire, le fait d’avoir frôlé la mort, ça m’a vraiment chamboulé, et maintenant, c’est un peu comme si je renaissais. Voyez-vous, ces derniers jours, je me suis posé beaucoup de questions, sur moi, mais aussi sur le sens de la vie, le pourquoi de ce qui m’arrive, de ce qui nous arrive à tous… Mais je m’égare, et puis après tout, vous êtes cardiologue, pas psy !
Le professeur sourit :
— C’est vrai, cette consultation est là pour faire le bilan, vérifier que tout fonctionne bien, mais si vous avez besoin de parler un peu, je suis aussi là pour vous écouter !
Urbain se redressa :
— Excellent ! Alors je vais vous dire ce qui me torture l’esprit : la semaine dernière, j’ai reçu la visite d’un très vieil ami, ou plutôt d’un très vieil ennemi, quelqu’un avec qui je m’étais méchamment brouillé alors que nous travaillions ensemble depuis plus de vingt ans. Il faut avouer que… ah, c’est pas facile à dire, disons que… enfin… bon, je n’ai pas été très honnête avec lui, voilà c’est dit ! Ouf, c’est vrai que ça va mieux une fois sorti ! Vous vous imaginez bien que sur le coup, j’ai été sidéré de le voir entrer dans ma chambre, j’ai même cru qu’il était venu dans l’espoir d’assister à mon extrême-onction ! Eh bien pas du tout ! Lui que j’avais roulé dans la farine, tenez-vous bien, était venu enterrer la hache de guerre ! Il m’a expliqué que le fait que j’aie failli y passer l’avait fait réfléchir, qu’on était bien peu de chose, et qu’il était temps de tourner la page. Non mais vous vous rendez compte ? ! Le degré d’humilité, de bienveillance et la dose de pardon qu’il faut pour agir ainsi ! Alors moi, après coup, ça m’a complètement retourné ! Et depuis, je cogite, je cogite, je bats ma coulpe, et je me dis que rien n’arrive vraiment par hasard en ce bas monde. Cet accident cardiaque est sûrement arrivé pour me remettre dans le droit chemin !
Urbain fronça soudain les sourcils en regardant son cardiologue :
— Vous me comprenez ou vous pensez que je suis bon pour Sainte-Anne ?
— Ne vous inquiétez pas, je vous comprends parfaitement. Il y a parfois, dans la vie, des événements qui servent d’électrochoc. Je ne peux que vous féliciter de vous remettre ainsi en question !
Urbain poussa un long soupir :
— Aaaaaah ! C’est vrai que je me sens vraiment un homme neuf ! Par contre, j’avais juste une petite question : c’est bizarre, et je suis sûr que c’est une vue de l’esprit, mais depuis ce matin, je ressens des choses bizarres au niveau du pacemaker. Par moments, je sens comme une petite décharge, et puis d’un coup, ça s’arrête.
— C’est étrange, ce que vous me dites là. Le Biotonik est un pacemaker dernière génération, il ne devrait pas y avoir ce genre de problème. De toute façon, et si ça peut vous rassurer, nous avions prévu de faire des dernières analyses avant de vous laisser sortir.
Prochain (et dernier) épisode dans notre édition du 26 mai
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