Kacem se relève au milieu des poubelles. Il s’éloigne, se retenant de courir. Une porte s’ouvre derrière lui.
– Kacem ? appelle Léna. Comme il ne répond ni ne ralentit, la jeune femme court jusqu’à lui et l’attrape par le bras.
– Viens… le supplie-t-elle. Mais Kacem ne bouge pas. Il regarde le sol comme un gamin buté.
– Suis-moi, insiste-t-elle. Je vais t’expliquer.
La vaste pièce à cloisons modulables qu’habite Léna est arrangée selon la tendance du moment, un mix fonctionnel-vintage qui fait cohabiter les sobres équipements modernes avec des pièces du début du siècle. Quelques heures plus tôt, Kacem aurait trouvé cela de très bon goût. Maintenant, il n’y voit qu’artifice.
L’homme dont Léna tenait la main s’approche de lui.
– C’est Iliam, dit Léna. C’est mon frère.
Son frère… Kacem n’a pas oublié ce qu’il a lu dans le dossier de Léna, « a perdu son frère dans un accident ». Elle lui ment, et il le lui dit. Léna se tourne vers l’homme, un peu plus âgé qu’elle.
– Il faut employer des moyens radicaux quand on veut disparaître des écrans, explique-t-il. C’est un voyage sans retour. Ma sœur doit avoir sacrément confiance en toi pour te confier mon secret.
Kacem regarde enfin Léna. Elle a ce même sourire en coin que la nuit où il a découvert son visage sur la station de supervision.
– C’est bon ? demande-t-elle. Tu boudes plus ? Viens t’asseoir. Tu vas nous raconter ce qui t’amène.
Les mains serrées sur une tasse de thé aux épices, Kacem relate ses mésaventures.
– La Police Médicale… murmure Iliam. Rien ne peut les arrêter maintenant que la régression médicale est considérée comme une forme de terrorisme.
Kacem proteste. Il n’est pas un terroriste. Tout ce qu’il veut, c’est soigner les gens ! Iliam secoue la tête.
– Depuis que les consortiums financent les services publics, tout ce qui s’oppose à leurs intérêts est contraire à l’intérêt général, et donc terroriste, ajoute-t-il.
Kacem pose sa tasse et prend son visage entre ses mains.
– Je suis perdu, gémit-il.
Léna pose sa main sur son épaule.
– Il reste les Illég… hasarde Iliam.
– Les Illég n’existent pas, réplique Kacem, c’est un conte sorti de nulle part. S’ils existaient, on en aurait des images, on en croiserait, des gens leur auraient parlé.
– Les gens ne veulent pas les voir, ni les croiser ou leur parler, répond Léna. Et le Système est bien obligé de nier leur existence. S’il y a des Illég, c’est qu’ils ont franchi le Mur, et s’ils ont franchi le Mur, cela signifie qu’ils viennent de l’autre côté, qu’on les a abandonnés dans les Terres Irradiées.
– Mais ils sont bien là, ajoute Iliam. Ils se cachent et on les ignore. Mais certains refusent cet arrangement. Ils essaient de les aider, clandestinement. Parfois il leur faut mourir pour ça.
– D’autres doivent rester en vie, dans le Système, complète Léna, pour obtenir du Régime Bienveillant les médicaments dont les Illég ont besoin.
Entre les révélations du frère et de la sœur, Kacem a le tournis.
– Les Illég existent, résume-t-il. Et toi, Iliam, tu es avec eux et tu les aides. Et toi, Léna… Toutes tes consultations…
– C’est ça, répond-elle en souriant. Je simule les symptômes, et nous avons piraté mon bracelet-capteur pour qu’il envoie les constantes que nous voulons. Si un drone amène un kit de prélèvement, nous lui fournissons les tissus ou les fluides du vrai malade.
– C’est comme ça que ça marche, conclut Iliam. Et on s’en sort pas si mal. Mais c’est sûr que si on avait un médecin avec nous… Un vrai. À l’ancienne…
Kacem hoche doucement la tête, pensif.
– A l’ancienne… répète-t-il.
Puis, gratifiant Léna et Iliam d’un franc sourire, il ajoute :
– Je commence quand ?
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