Par Thierry Covolo
La porte de l’appartement s’ouvre, Kacem entre, les publicités s’affichent, mais Kacem les remarque à peine. À la fin de la séquence, c’est le visage de Perry qui les remplace sur les écrans.
– Bon sang, s’écrie son ami quand Kacem se connecte, tu ne regardes pas tes messages ou quoi ? J’ai passé l’après-midi à essayer de te joindre !
Kacem s’excuse. Pris entre les secrets de Léna et son travail, le jeune Opérateur n’a pas fait attention à ses notifications.
– C’est à propos du dossier… commence Perry.
Kacem s’attend à ce qu’il revienne sur son probable avancement anticipé, mais Perry le détrompe.
– Je devrais plutôt dire le rapport, continue-t-il. Parce que c’est bien un rapport que le MédSup de ton Centre a fait sur toi. Mais qu’est-ce que t’as foutu, Kacem ?
Les jambes de Kacem se mettent à trembler. Comment Vallon, cet abruti besogneux, a-t-il pu découvrir qu’il utilisait la station de supervision pour réaliser des consultations à la place des Med-IA ? Il a été prudent, il le sait. Il a désactivé les enregistreurs, effacé les traces de sorties de drones et masqué les mouvements de stock. Il a sous-estimé Vallon, voilà tout. C’est ça ou se demander qui a pu le dénoncer.
– Je ne sais pas ce que tu as fait, lui lance Perry, mais ça sent vraiment mauvais pour toi. La Police Médicale est sur toi. Ils te soupçonnent d’être un activiste régressif !
Kacem frémit. La Police Médicale ! Financée par les puissants consortiums qui fournissent en technologies le Régime Bienveillant, elle dispose de moyens colossaux et protège sans pitié le système. Elle ne répond qu’à ses administrateurs. Même le Ministère de la Productivité Sanitaire n’a aucun pouvoir sur elle. Kacem s’effondre sur la banquette. Personne ne sait ce qu’il advient des médecins qui tombent entre les mains de la Police Médicale. Et personne ne veut le savoir.
– Tu me déçois, conclut Perry. Tu étais mon ami. Je ne pouvais pas imaginer ça de toi. Je croyais que tu étais un inoffensif rêveur romantique, mais en réalité tu es un dangereux anarchiste.
Kacem lève les yeux vers l’écran. Le visage de Perry affiche une moue de mépris. Mais autre chose, aussi. De la peur ?
– Je ne suis pas ton complice, assène Perry. Je ne t’ai jamais encouragé à régresser. J’ai toujours essayé de te maintenir dans la ligne. Ne va pas leur raconter des choses sur moi.
Kacem se déconnecte. Il se lève et sort précipitamment de chez lui. Pas le temps de prendre quoi que ce soit. Ils sont peut-être déjà en route pour l’arrêter. Il marche au hasard. La nuit est tombée, et cette ombre qui noie tout le rassure. Il enchaîne les rues sans y prêter attention. Impossible de penser. Au bout de quelques minutes, il se rend compte que ce n’est pas le hasard qui a conduit ses pas. Il est devant l’immeuble de Léna. Un peu de lumière filtre à travers les rideaux qu’elle a tirés. Kacem hésite. Doit-il se réfugier chez elle ? Ne risque-t-il pas de mettre en danger la femme qu’il aime ? Derrière l’un des rideaux, il voit passer l’ombre de Léna. Son cœur s’emballe. Puis une autre ombre passe juste après elle. Une silhouette d’homme, il en jurerait. Kacem s’approche de la fenêtre. Le rideau n’est pas complètement fermé. Kacem se hisse sur un container à ordures pour jeter un coup d’œil à l’intérieur. C’était bien la silhouette d’un homme. Et Léna lui tient la main. Saisi par la surprise, Kacem perd l’équilibre et tombe dans un fracas de métal.
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