Du point de vue de Kacem, leur premier rendez-vous – Léna Lovovitch lui a demandé de venir lui-même lui apporter sa prescription – fut un pitoyable fiasco. Pour autant, cela ne découragea pas la jeune femme de le revoir. « Tu vas rire, lui a-t-elle dit, mais je crois que seul un homme hors du commun peut être aussi nul à un premier rendez-vous ! » La franchise de Léna eut sur lui l’effet que sans doute elle escomptait : Kacem se sentit libéré et leur deuxième rencontre – un dîner dans un végaurant conventionné par le Régime Bienveillant – se passa très bien. Léna le surprit même d’un rapide baiser quand ils se séparèrent sur le seuil de l’établissement. Bercé par le ronronnement des souffleries qui s’opposaient aux vents venant des Terres Irradiées, au-delà du Mur, Kacem regarda Léna s’éloigner. Ses pieds touchaient-ils le sol quand elle marchait ? Il lui semblait bien que non. Puis elle se retourna et lui lança « Si tu te poses la question, ce baiser veut dire qu’on se reverra. Je t’appelle. » Finalement elle disparut et Kacem se retint aussi longtemps qu’il put de battre des paupières.
La vie de Kacem se retrouve sous haute tension. Entre les consultations volées aux Méd-IA et ses rendez-vous avec Léna, se concentrer sur son travail lui demande des efforts héroïques. Il est probable qu’on le surprenne parfois à rêvasser tandis qu’il vérifie les stocks du Centre Local. Sans doute ses discussions avec Perry pâtissent-elles également de son manque d’attention. Lorsque son ami lui demande s’il ne fricoterait pas avec une collègue MédOp, Kacem s’en défend, maladroitement comme le lui confirme le rire moqueur de Perry.
Sa relation avec Léna a rapidement quitté le terrain de l’aimable camaraderie. La jeune femme sait ce qu’elle veut et Kacem se laisse conduire. Elle fixe leurs rendez-vous et décide de ce qu’ils sont. Quand il est avec elle, Kacem est un homme grand et fort, mais un petit garçon perdu dès qu’elle s’éloigne. Ils se retrouvent toujours chez lui. Tout ce qu’il connaît de son domicile est la façade de l’immeuble qu’elle habite, au rez-de-chaussée. Quand il la raccompagne, elle se raidit à l’approche de chez elle, et le quitte précipitamment une fois arrivée. Il arrive même qu’elle oublie de l’embrasser.
Aussi intimes qu’ils soient devenus, une part de Léna lui reste inaccessible. Si Kacem se confie longuement à elle, lui avouant sa passion frustrée pour la médecine d’antan et ses conséquences, la jeune femme lui en dit à peine plus sur sa propre vie que ce qu’il a appris dans son dossier médical. C’est sans doute ce qui le pousse à consulter une nouvelle fois sa fiche dans la base du Régime Bienveillant. En tant qu’Opérateur, accéder à ces données fait partie de son travail. Mais l’Ethicode, édicté par le Ministère en remplacement de l’antique serment d’Hippocrate, interdit d’en faire un usage personnel. Au point où il en est, cette transgression lui paraît bien anodine. S’il n’apprend rien de nouveau sur sa vie, il constate en revanche que Léna consulte toujours une fois par mois. Généralement alors qu’il est en train de la rejoindre, ou qu’il vient de la quitter. Une façon d’être certaine qu’il n’intercepte pas son appel ? Ce dont peut jurer Kacem, c’est que ces jours-là, contrairement à ce qu’il lit, la santé de Léna était excellente. À quoi cela rime-t-il ?
Pour rien au monde Kacem n’interrogerait Léna à ce sujet. Qui sait quel effet cela aurait sur leur relation… Mais ce soir-là, c’est en pleine confusion qu’il rentre chez lui.
Avec la collaboration de

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